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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/237

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AU PAYS DES PARDONS

Un vertige d’une autre sorte égarait l’esprit de Kébèn. Son idée fixe était de se venger de Ronan qu’elle appelait le « débaucheur d’hommes ». Elle s’aboucha avec les ennemis du thaumaturge. On sait qu’ils étaient nombreux. Des réunions clandestines se tinrent à Kernévez, pendant les absences du mari. On y buvait de l’hydromel dans des cornes d’uroch. Au bout de quelques jours de ce régime, Kébèn, devant une assemblée de fanatiques exaltés jusqu’au délire, déclara qu’il fallait cette nuit même, à la faveur des ténèbres, marcher à la hutte de l’ermite, y mettre le feu et l’y brûler vif.

« — Allons ! » s’écrièrent-ils d’une seule voix.

Mais leur enthousiasme dura peu. À la fraîcheur nocturne leur ivresse s’était dissipée, faisant place, chez les plus hardis, à de mystérieuses appréhensions. Ils crurent ouïr dans le vent des paroles de menace. Les bruyères où leurs pieds s’empêtraient leur semblèrent un filet magique tendu sous leurs pas. Une étrange apparition acheva de les terrifier. La forme démesurée d’une bête venait de surgir debout sur le sommet de la montagne, et, par trois fois, un hennissement épouvantable