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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/274

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LA TROMÉNIE DE SAINT RONAN

ans, son arrière petit-fils. L’enfant flotte en des vêtements trop larges, défroque presque neuve de quelque frère aîné « péri en mer ». Il a une petite mine drôle, très éveillée, avec un je ne sais quoi de vieillot déjà dans l’expression, des regards d’une gravité singulière, pleins de choses d’ailleurs, un air de tristesse prématurée.

« — Il va s’embarquer pour le long cours, » m’explique la bonne femme. « Alors, je suis venue le présenter à saint Ronan. C’est la neuvième Troménie que j’accomplis. Oui, ce sentier m’a vue passer neuf fois, avec mon homme, mes gars, et les fils de mes gars. Je les ai pleurés tous et n’en ai enseveli aucun. Ils sont dans le cimetière sans croix. Celui-ci est le dernier qui me reste. J’ai idée que la mer le prendra comme elle a pris les autres. Cela est dur, mais il faut que chacun suive son destin… »

Le mousse, lui, ne dit rien, sourit vaguement du côté des boutiques installées sur la place ; et la mer au pied des collines, s’étale, glauque, pailletée d’or, attirante et chantante, sirène délicieuse, doux miroir à prendre les hommes.