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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/329

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AU PAYS DES PARDONS


Je revois Douarnenez émigrant en masse vers la Palude. Toutes les voitures de la contrée ont été mises en réquisition et sont prises d’assaut. Entre les sièges combles on intercale des tabourets empruntés à l’auberge voisine. Le conducteur se plante à l’avant, debout, un pied sur chaque brancard ; les châles multicolores des filles assises à l’arrière balaient le pavé de leurs franges. Et les chars-à-bancs s’ébranlent, lourdement, au petit trot d’un bidet de Cornouailles, très philosophe et qui ne s’étonne plus. Les hommes font les beaux dans leurs vareuses neuves, le béret rabattu sur les yeux ; ils gesticulent, ils crient, par besoin, par plaisir, pour se prouver à eux-mêmes qu’ils sont ailleurs que dans les barques, où le moindre mouvement, sous peine de mort, doit être calculé, mesuré, précis, et aussi pour se « déhanter l’âme », comme ils disent, des vastes silences de la mer plus troublants peut-être que ses colères. À leurs muscles, à leurs nerfs violemment comprimés il faut de ces brusques détentes. Le pardon de sainte Anne est une des soupapes par où se fait jour, chez ces êtres rudes, le trop plein des sen-