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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/61

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AU PAYS DES PARDONS

et odorante, bordée d’aubépines en fleurs. On se réunit après souper, par groupes, au pied de l’immense calvaire qui marque l’entrée de l’asyle, de l’ager sacré. C’est à la fois une promenade et une procession ; on chemine à pas lents, sous les étoiles ; l’air est doux, traversé de senteurs balsamiques ; nulle croix en tête, pas de clergé ni de chantres. Le silence est de rigueur. Les prières s’exhalent en un vague chuchotement qui ne trouble point la paix des choses. C’est comme un défilé d’ombres dans la nuit. Les vieilles citadines, aux délicieuses cornettes d’autrefois, étouffent leurs pas menus dans des chaussons de ouate, les mains dissimulées sous l’ampleur des manches, à la façon des nonnes. Le long des douves, d’intervalles en intervalles, des mendiants sont accroupis, manchots, culs-de-jattes, aveugles, lépreux, la plupart agitant des torches qui avivent leurs plaies de larges reflets sanglants, — tous, clamant et se renvoyant de l’un à l’autre, avec un singulier mélange de cabotinage et de sincérité, la mélopée tragique de leur misère. D’aucuns ont les genoux comme incrustés dans