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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/85

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AU PAYS DES PARDONS

était suspendue ; lorsque la servante en soulevait le couvercle, il s’en échappait des jets de vapeur blanche et une succulente odeur de lard cuit se répandait dans l’air. — La table était surchargée d’écuelles un garçon de labour achevait de les emplir de crêpes de blé noir qu’il rompait en les tordant entre ses poings.

« — Allons, gars ! » cria le père Yaouank, « la soupe est prête. »

Comment rendre cette inexprimable scène qui vous rejetait en plein Moyen-Age, au fond de quelque « Cour des Miracles » ? Au silence relatif qui avait règné jusque-là parmi ces gens, harassés pour la plupart et heureux de se laisser engourdir au bien-être réchauffant d’une maison cossue, succéda brusquement un tumulte, une mêlée, une bousculade accompagnée de cris, de jurons même et de horions, tout le monde se précipitant à la fois vers la table et chacun s’efforçant d’attraper le premier son écuelle. Les infirmes surtout faisaient rage, fourrageaient avec leurs béquilles dans les jambes des valides. Un cul-de-jatte, à demi écrasé, beuglait, agitant désespé-