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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/86

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SAINT-YVES, LE PARDON DES PAUVRES

ment un bras démesuré terminé par une patte immense. Les aveugles trébuchaient, les mains en avant, — roulaient leurs prunelles éteintes. Et Yaouank-coz regardait ce spectacle, avec sa pipe au coin des lèvres, tranquille, l’air amusé.

« — Maintenant, à tour de rôle » commandat-il, en barrant de son grand corps l’accès de la cheminée ; « quiconque fera du désordre passera le dernier ! »

Le calme se rétablit ; la « procession de la marmite » commença. Les gueux s’approchaient un à un et présentaient leur écuellée de crêpes que la servante arrosait de bouillon. À la clarté de l’âtre, je les dévisageais. Oh ! les étranges têtes que j’ai vues là Celles-ci, grosses, gonflées, avec des meurtrissures bleuâtres, pareilles à des melons d’eau ; d’autres maigres, d’une maigreur ascétique, visages pétrifiés de morts, toute la vie s’étant réfugiée dans la mobilité fébrile des yeux ; d’autres, dures et frustes, aux énergiques profils de forbans ; et il y en avait aussi d’exquises, — j’entends parmi les femmes, — d’une adorable