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III
AVANT-PROPOS

Chacun y apporte un esprit grave, et la plus grande partie de la journée est consacrée à des pratiques de dévotion. On passe de longues heures en oraison devant la grossière image du saint ; on fait à genoux le tour de l’auge en granit qui fut successivement sa barque, son lit, son tombeau ; on va boire à sa fontaine que protège un édicule contemporain du sanctuaire et dont l’eau est réputée comme ayant des vertus curatives. Vers le soir seulement, après vêpres, les divertissements s’organisent. Plaisirs agrestes et primitifs. On s’attroupe pour jouer aux noix, dans le gazon, au pied des ormes. Les gars se défient à la lutte, à la course, sous les yeux des filles sagement assises sur les talus environnants, ou s’exercent à mâter une perche, parmi les applaudissements des vieillards. La danse enfin déroule en cercle ses anneaux, sérieuse et animée tout ensemble, avec un je ne sais quoi de simple et d’harmonieux dans le rythme qui rappelle son origine sacrée… Les retours, à la brune, sont exquis. On s’en revient par groupes, dans la fraîcheur du crépuscule, à l’heure où commencent à s’allumer les étoiles dans le gris ardoisé du ciel. Une sérénité douce enveloppe les choses. Les galants accompagnent chez elles leurs promises : ils cheminent côte à côte, en se tenant par le petit doigt. L’homme s’est enhardi, la fille ne se sent plus rougir : le mystère invite aux aveux. Aux approches de la ferme, pour annoncer leur arrivée, ils entonnent à l’unisson une cantilène achetée dans l’après-midi à l’éventaire du marchand de complaintes. D’autres couples au loin leur répondent, et bientôt, de toutes parts, s’élève une sorte de chant alterné qui va s’éteignant peu à peu, avec les derniers tintements