Aller au contenu

Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/8

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
II
AVANT-PROPOS

tone, les bras ballants ou croisés sur la poitrine, sans enthousiasme, sans gaîté. D’autres, attablés dans quelque auberge, crient très fort, mais plutôt, semble-t-il, par acquit de conscience que par conviction. Les mendiants pullulent, sordides, couverts de vermine et d’ulcères, lamentables et répugnants. Dans l’enclos du cimetière bossué de tombes herbeuses, véritable « champ des morts », un aveugle adossé au tronc d’un if glapit, en une langue barbare, une mélopée dolente, si triste qu’on la prendrait pour une plainte. Les jeunes couples qui se promènent, et qui sont censés deviser d’amour, échangent à peine cinq paroles, se lutinent gauchement, avec des gestes contraints. Un de mes amis, après avoir assisté au pardon de la Clarté, en Perros, formulait son impression en ces termes :

« — Décidément, j’aime mieux vos Bretons quand ils ne s’amusent pas : ils sont moins mornes. »

Son erreur était de croire que ces Bretons s’étaient réunis là pour s’amuser. Le Goffic a écrit à propos des pardons[1] : « Ils sont les mêmes qu’ils étaient il y a deux cents ans, et vous ne trouverez rien de si délicieusement suranné. Ils ne ressemblent point aux autres fêtes. Ce ne sont point des prétextes à ripailles comme les kermesses flamandes, ni des rendez-vous de somnambules et d’hommes-troncs, comme les foires de Paris. L’attrait vient de plus haut : ces pardons sont restés des fêtes de l’âme. On y rit peu et on y prie beaucoup… » On ne saurait mieux dire. Une pensée religieuse, d’un caractère profond, préside à ces assemblées.

  1. Les Romanciers d’aujourd’hui, p. 87-88.