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Page:Le Ménestrel - 1894 - n°36.djvu/8

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LE MÉNESTREL

Cercle, a été l’objet d’une manifestation enthousiaste. M. Éd. Colonne avait pris soin de ne mettre à la deuxième partie de son programme que des œuvres d’Ambroise Thomas : 1o ouverture du Carnaval de Venise ; 2o entr’acte de Mignon ; 3o ballet d’Hamlet. L’audition de chacun de ces morceaux a été suivie de bravos qui s’adressaient tout à la fois au compositeur et au chef d’orchestre ; les rayons de gloire environnant celui-là se reflétaient sur celui-ci. M. Ambroise Thomas, non seulement remerciait le public en le saluant, mais encore applaudissait les musiciens, tout heureux d’être félicités par un si grand maître. — M. Ambroise Thomas a assisté mardi, à 3 heures, à une grande représentation de son immortel chef-d’œuvre, Mignon’… au Guignol de la Villa des Fleurs. Le grand maestro a ri de bon cœur ».

— Autre écho d’Aix-les-Bains : avant de quitter cette belle station thermale, le roi de Grèce a convié M. Éd. Colonne à déjeuner, « pour le remercier des joies musicales qu’il lui avait procurées pendant la saison ».

— Notre collaborateur et ami Arthur Pougin, qui prépare la publication d’un recueil de lettres inédites de Rossini, vient de donner au Temps, dans un long article, la primeur d’une douzaine de ces lettres, extrêmement curieuses et intéressantes. Quelques-unes de celles-ci sont adressées à Donizetti, à Mercadante, à Pacini ; d’autres sont relatives à Bellini, à Mayr, à Vaccai ; dans d’autres encore, il est question d’Haydn, de Mozart, de Beethoven, etc., etc. Elles font connaître le vieux maître sous un jour nouveau et offrent autant d’intérêt au point de vue moral qu’au point de vue purement artistique.

— Le violoniste Gelozo vient d’être nommé officier de l’instruction publique.

— À l’Exposition de Lyon, le jury pour la classe des instruments de musique a été définitivement constitué comme suit : MM. Aimé Gros, président ; Théodore Lack, vice-président ; Jemain, secrétaire ; Bernardel, Alph. Blondel, A. Bord, Cousin, Gaveau, Jager, Laprêt, Luigini, Trillat, Focké, Buy et Silvestre, membres. L’un des grands attraits de la section musicale sont les très suivies auditions organisées par M. Gaveau ; MM. Jemain et Llorca s’y font applaudir ensemble ou séparément et font valoir, comme il convient, les excellents instruments de la grande maison parisienne. La maison Gaveau, d’ailleurs, triomphe aussi à Anvers, où son exposition est très admirée et contribue, pour une très large part, à garder à la Grace la renommée qu’elle s’est justement acquise dans la fabrication des pianos.

— Au cours de cette saison, le Grand-Théâtre de Lille doit monter un opéra inédit en quatre actes, dont le titre est Lyderic. Le poème a pour auteurs MM. Eugène Lagrillière-Beauclerc et Paul Cosseret, le musicien est M. Eug. Ratez, directeur du Conservatoire de Lille. Lyderic est la mise à la scène de la vieille légende flamande du meurtre du duc de Salvaet par le prince Phinaert, sous le règne de Dagobert. De l’actualité, quoi !

— Dans la charmante petite église de Villers-sur-Mer, il a été donné jeudi dernier un « Salut » en musique, au profit des pauvres. C’est Mlle Simonnet, en villégiature à Villers en attendant ses prochains débuts au théâtre de la Monnaie de Bruxelles, qui a eu les honneurs de cette petite cérémonie avec l’Ave Maria et l’O Salutaris de Gounod, et Crucifix de Faure, où son frère, un jeune ténor d’avenir, lui a donné la réplique.

— On nous écrit de Saint-Dié que le festival donné au théâtre, au profit de la Société française de la Croix-Rouge, a parfaitement réussi, et qu’on a chaleureusement applaudi l’excellente violoniste Mme Jeanne Meyer dans le Rondo capriccioso de Saint-Saëns et plusieurs œuvres de Massenet, Marsick, Sarasate. Mlle Pouget a fait admirer sa belle voix dans une remarquable cantate (Jeanne d’Arc à Domremy) du jeune d’Olonne, élève de Massenet et lauréat du Conservatoire. L’exécution de cette œuvre a été un véritable succès pour le compositeur, dont Mlle Pouget a dit les mélodies, Novembre et Désir, avec beaucoup de sentiment et de charme.

NÉCROLOGIE

Le nom de Mme Lyne Stephens, qui vient de mourir à Londres dans un âge fort avancé, ne dirait rien sans doute au public s’il n’apprenait que cette richissime Anglaise, dont les revenus se chiffraient par millions, fut jadis, c’est-à-dire il y a plus d’un demi-siècle, l’une des danseuses les plus séduisantes et les plus applaudies de notre Opéra. Mme Lyne Stephens n’était autre en effet que Mlle Marie-Louise Duvernay, qui, née aux environs de 1810, appartenait au bataillon dansant de ce théâtre à l’époque de sa plus grande splendeur, soit en même temps que Mmes Marie Taglioni, Montessu, Noblet, Legallois, Louise Leroux, Fanny et Thérèse Elssler, Brocard, Fitz-James, etc. Élève du fameux Coulon, douée d’une rare beauté et d’une grâce exquise, elle débuta à l’Opéra vers 1830, et s’y fit aussitôt remarquer par un réel talent d’exécution que rehaussaient encore ses qualités physiques. Elle était en même temps une mime fort intelligente, et fit particulièrement sensation dans un opéra-ballet d’Halévy, la Tentation, joué en 1832 et où son succès personnel fut très grand. L’existence de cette artiste fut d’ailleurs singulièrement romanesque. On raconte qu’avant même ses débuts, hantée tout à coup par des idées religieuses, elle quitta tout pour se réfugier dans un couvent ; mais sa vocation sous ce rapport était incomplète, et elle revint bientôt à l’art. Plus tard, et au plus fort de ses succès, prise d’un désespoir d’amour, elle voulut en finir avec la vie et tenta de s’empoisonner à l’aide d’une décoction de gros sous. Une médication énergique la sauva de la mort et lui permit d’obtenir un nouveau triomphe dans le divertissement de la Juive, où elle se fit vivement applaudir. Déjà elle partageait alors son temps entre la France et l’Angleterre, et un biographe disait d’elle en 1837 : — « Londres a bien souvent laissé pleuvoir ses bravos et ses guinées sur Mlle Duvernay. Elle est une des admirations britanniques ; la Tamise s’est mise à ses genoux. Malheureusement une santé faible, une organisation délicate empêchent Mlle Duvernay de nous gratifier plus fréquemment des gracieusetés de son art. Toutefois, ses souffrances n’ôtent à son visage avenant aucun de ses agréments délicats, et n’altèrent en aucune façon l’élégance de sa personne, la souplesse de ses mouvements et la pureté de ses pas. » C’est justement en Angleterre que Mlle Duvernay devait fixer à jamais son existence. Au cours de ses voyages en ce pays, elle avait excité une vive passion chez un homme puissamment riche, M. Lyne Stephens, qui lui offrit sa main et qu’elle consentit à épouser. Celui-ci, en mourant, lui laissa toute sa colossale fortune, dont on comprendra l’importance si l’on songe que le revenu des immeubles d’un seul de ses domaines, celui de Rochampton, dont la superficie est de 700 acres, est évalué à 500.000 francs. Sur cette fortune, Mme Lyne Stephens, qui était une fervente catholique, a pu contribuer pour 100.000 livres sterling, soit deux millions et demi, à l’érection de l’église romaine de Cambridge, qui fut consacrée en 1890 par l’évêque de Northampton. C’est dans une de ses résidences princières, Lynford hall, comté de Norfolk, qu’elle est morte ces jours derniers. Elle y avait réuni une collection admirable et unique d’objets d’art et de curiosités de tout genre : tapisseries historiques, émaux précieux, vieux chine et surtout sèvres anciens et modernes d’un choix exquis, qui, dit-on, doivent être vendus aux enchères. On ne dit pas à qui revient l’immense fortune laissée par la défunte.

Arthur Pougin.

Mme Osborne, une cantatrice écossaise d’un mérite autrefois fort apprécié, vient de mourir à Brooklyn (New-York), dans des circonstances particulièrement tristes, on peut même dire dramatiques. Cette malheureuse femme, qui n’était âgée que de trente-trois ans, a succombé à la suite d’épouvantables privations. Dénuée de toutes ressources, poussée par la faim (elle n’avait pas mangé depuis quarante-huit heures), elle avait été implorer un asile chez une dame de ses amies, qui l’accueillit avec la plus grande bonté. Après s’être restaurée, elle se retira dans la chambre qui lui avait été assignée. Le lendemain matin, on la trouva morte. Mme Osborne, qui avait travaillé le chant au Conservatoire de Leipzig, a fourni une carrière de concerts assez brillante à Londres, Berlin, Vienne, Paris et Naples. Elle s’était fixée en dernier lieu en Amérique, où elle épousa M. Georges Poole, qui l’abandonna au bout d’un certain temps, la laissant sans ressources. Elle vécut en donnant quelques rares leçons de chant, jusqu’au moment où la mauvaise chance lui ayant fait perdre ses élèves, elle tomba dans la plus affreuse misère.

— On annonce le suicide, à Rio-de-Janeiro, de Marino Mancinelli, chef d’orchestre et impresario de troupes italiennes au Brésil. Il était le frère de M. Luigi Mancinelli, directeur du Conservatoire de Bologne, chef d’orchestre très estimé en Italie, qui est en ce moment à Londres.

M. Eugène Godin, le chef machiniste de l’Opéra-Comique, vient de succomber à l’âge de soixante-cinq ans. C’était un maître en la matière, et on n’a pas oublié ses prouesses dans tous les théâtres où il a passé, aussi bien en France qu’à l’étranger. C’est surtout à la Gaîté et à l’Éden qu’il se distingua plus particulièrement dans une série de pièces à grand spectacle, où il fut merveilleux d’imagination et d’originalité.

M. Deltombe, l’excellent régisseur des Variétés, qui fut en son temps un comique très fin et très adroit, a été trouvé mort cette semaine dans son lit. Il avait une maladie de cœur. Pendant longtemps on lui avait confié, à Saint-Pétersbourg, les fonctions de régisseur général du Théâtre-Michel.

— À Salo est mort récemment, à l’âge de 60 ans environ, le compositeur et professeur Cesare Galliera, qui fut directeur de divers théâtres en Italie, et qui alla ouvrir ensuite une école de chant à Munich. Étant impresario de la Canobbiana de Milan, cet artiste fit jouer à ce théâtre, le 6 juin 1867 (et non 1877, comme le dit par erreur un journal italien), un opéra intitulé Zagranella, qui tomba si lourdement, malgré la situation de son auteur, qu’on n’en put donner que deux représentations, en dépit des modifications qui y avaient été apportées pour la seconde. Précédemment il avait donné à Crémone, sa ville natale, un autre ouvrage qui avait pour titre la Dama bianca d’Avenello, au poème duquel Scribe n’était pas sans doute complètement étranger. Il laisse, dit-on, de nombreuses compositions vocales et de musique religieuse.

— On annonce aussi la mort, en Italie, à Tabiano, de Pio Ferrari, professeur d’harmonie et de contrepoint à l’Institut royal de musique de Parme ; — à Bergame, à l’âge de 39 ans, de Ferdinando Serassi, facteur d’orgues, descendant de la fameuse famille Serassi qui s’était distinguée depuis près de deux siècles dans la fabrication de ces instruments et qui, en 1858, en avait déjà construit 654 ; — enfin, à Palerme, d’un autre facteur d’orgues et d’instruments à cordes, nommé Luigi Perollo.


Henri Heugel, directeur-gérant.

imprimerie centrale des chemins de fer. — imprimerie chaix, rue bergère, 20, paris. — (Encre Lorilleux).