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Page:Le Ménestrel - 1896 - n°30.pdf/5

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LE MÉNESTREL

jouer aux élèves des études de violon de Kreutzer, de Fiorillo et de Campagnoli — en les transposant d’une quinte, naturellement. Cela ne justifie-t-il pas l’inutilité que je constate ? La classe d’alto est donc simplement une classe de violon à la quinte. Il n’était vraiment pas besoin de faire tant de bruit. Mentionnons toutefois l’existence de quelques Méthodes d’alto dues à Woldemar, à Martinn et à Bruni. Il y a aussi quatre concertos de Rolla pour l’alto, un autre concert de Ghebart, un de Bernard Lorenziti, un de Woldemar, des duos d’altos de Schœnebeck, Cambini, Martinn, Christian Stumpff, Teniers… Mais je crois qu’on aurait de la peine à former un répertoire étendu pour l’instrument. Comme petite excentricité, on peut signaler un quintette d’Uhran pour trois altos, violoncelle et contrebasse, avec timbales ad libitum.

Enfin, les altophiles seront satisfaits, et le Conservatoire possède aujourd’hui une classe d’alto, qu’on n’aurait su d’ailleurs placer en de meilleures mains qu’en celles de M. Laforge. (Je crois bien que M. Laforge préférerait avoir une classe de violon. Enfin !…) On avait fait choix, comme morceau de concours, d’un concertstück de L. Firket. Qui ça, Firket ? J’ai eu quelque peine à le savoir. J’y suis parvenu pourtant. Firket était un artiste belge qui a tenu jusqu’à son extrême vieillesse la partie de premier alto à l’orchestre de la Monnaie de Bruxelles et qui était en même temps titulaire de la classe d’alto au Conservatoire, où il a été remplacé à sa mort, il y a trois ans, je crois, par M. Van Hout, le professeur actuel. Voilà tout ce que j’en puis dire, et j’arrive enfin au concours, dont le morceau de lecture à vue était écrit par M. Charles Lefebvre.

Point de premier prix pour ce concours, mais deux seconds prix, attribués à MM. Denayer et Henri Brun. M. Denayer est assurément supérieur à tous ses camarades. Il a de bons doigts, un archet facile, une grande justesse et une rare sûreté d’exécution. Avec cela un heureux phrasé et le sentiment du style. Ensemble excellent et lecture irréprochable. Sa supériorité est telle que je suis étonné qu’on ne lui ait pas donné un premier prix. Je regrette de n’en pouvoir dire autant de M. Henri Brun, dont le jeu est gros, lourd, sans grâce, l’exécution petite, incomplète, l’archet savonneux, avec des doigts insuffisants. Je crois que ce jeune homme peut acquérir, en travaillant, les nombreuses qualités qui lui manquent, mais il a bien besoin de travailler.

Deux premiers accessits, à MM. Pierre Brun et Casadesus. M. Pierre Brun, qui n’est point parent de M. Henri Brun (on les croyait jumeaux parce que, portant le même nom, ils sont exactement du même âge (17 ans et 8 mois), me paraît avec sa récompense moindre, lui être de beaucoup supérieur. Il a de la hardiesse, de l’élégance, un bon archet, du style et du brillant. C’est un tempérament d’artiste. Chez M. Casadesus l’exécution est grosse, incomplète et sans distinction ; certaines qualités secondaires pourtant, de l’assurance et le sentiment du style.

Des quatre autres concurrents je ne vois à signaler que M. Viguier, qui a de la vigueur et de l’assurance et qui ne manque pas de qualités, mais dont la justesse a laissé à désirer dans les traits.

Et maintenant, vive la classe d’alto, qui ne sera autre chose qu’un déversoir pour les jeunes gens qui auront éprouvé des malheurs à l’examen d’entrée pour les classes de violon.

VIOLONCELLE

Le concours de violoncelle mettait en ligne onze élèves, qui nous ont fait entendre l’allegro du 9e concerto de Romberg, morceau bien fait pour l’instrument mais qui ne brille pas par la fraîcheur des idées et dont les traits semblent calqués trop servilement sur ceux des concertos de violon de Viotti. Le morceau à déchiffrer, d’un rythme un peu trop vague, était dû à MM. Hillemacher.

Trois premiers prix ont été décernés : à M. Desmonts, élève de M. Rabaud, M. Pollain, élève de M. Delsart, et Mlle de Buffon, élève de M. Rabaud. M. Desmonts avait obtenu un second prix en 1894 ; les deux autres n’ont fait qu’un saut de leur second accessit de l’an dernier au premier prix de cette année. M. Desmonts a de la hardiesse, du feu, de l’élan, de l’expérience, un joli son, un phrasé délicat, un jeu élégant et un bon archet. C’est presque très bien sans être parfait, à cause de certains détails qui ont été manqués. M. Pollain se fait remarquer par des doigts habiles, un archet élégant, du goût, et en général par un joli jeu, bien égal, qui n’escamote rien, et dans lequel tout est bien soigné, bien fait et mis en pleine lumière. Comme celui-ci, Mlle de Buffon est en très grand progrès. Chez elle le jeu est sûr, hardi, la justesse est bonne, l’ensemble très net, sinon toujours élégant. Je lui reprocherai seulement de sabrer certaines phrases et de manquer de délicatesse. Elle devra s’attacher à acquérir le charme qui lui manque encore.

Dirais-je que le second prix attribué à M. Deblauwe m’a un peu étonné ? Je suis toujours désolé quand l’opinion que j’exprime peut chagriner quelqu’un de ces jeunes gens, que nous devons toujours, aussi à dire la vérité, ou ce que je crois tel, et lorsqu’il m’arrive d’être sévère, je le fais dans leur propre intérêt et pour leur faire connaître leurs défauts. Or, je trouve que le jeu de M. Deblauwe est sage jusqu’à la froideur, qu’il manque d’élan et, ce qui est plus grave encore, parfois de justesse. Je vois là certaines qualités d’ensemble, mais c’est tout, et je crois que M. Deblauwe, qui est élève de M. Rabaud, aura à mettre les bouchées doubles, et même triples, s’il veut atteindre son premier prix.

À côté de cela, le jury se refuse à décerner un premier accessit, et il n’en accorde qu’un second à M. Agnellet élève de M. Delsart, qui, à mon sens, a été l’un des participants les plus distingués de ce concours. Ce jeune homme a un joli son, de bons doigts, de l’élégance, de la sûreté, et l’ensemble de son jeu se distingue par le goût et la grâce du phrasé. Il ne manque qu’un peu plus d’ampleur et de hardiesse. J’ajoute qu’il a très bien lu.

Et on n’a rien donné à un autre élève de M. Delsart, M. Rabatel, qui, lui aussi, a déployé de bonne qualités : un beau son, un gentil phrasé, du goût, des doigts habiles et un jeu distingué ! Ce n’est pas sa faute si ses cordes sifflaient par cette température sénégalienne, et si sa transpiration était telle que la touche de son instrument ruisselait quand il a eu terminé son morceau.

Je n’ai rien à dire des autres élèves non récompensés, sinon que tous m’ont paru jouer faux à dire d’expert, ce qui explique suffisamment l’indifférence du jury à leur égard.

CHANT (Hommes).

Le concours de chant pour les hommes n’a donné, dans son ensemble, que des résultats médiocres. Il n’y a pas lieu de s’en étonner outre mesure si l’on songe que sur les dix-sept élèves qui y prenaient part, treize n’avaient obtenu encore aucune récompense, dont huit concouraient pour la première fois. Et sur les quatre autres, il y avait seulement un second prix et trois seconds accessits. On ne pouvait donc guère s’attendre à une lutte brillante comme il s’en établit parfois entre plusieurs élèves qui doivent, par leur passé, aspirer aux plus hautes récompenses.

C’est M. Beyle, élève de M. Bussine, le second prix de l’an passé, qui a décroché la timbale, sous forme de l’unique premier prix décerné, et il n’y avait vraiment pas moyen d’en donner d’autres. C’est un ténor vigoureux, qui a déployé de la chaleur dans l’air d’Hérodiade, qu’il a chanté avec une certaine grandeur, avec une bonne et solide articulation. Nous le retrouverons dans les deux concours d’opéra et d’opéra-comique, ainsi que M. Vieuille, élève de M. Masson, un baryton qui a enlevé un second prix avec un morceau d’un choix excellent et comme on voudrait en entendre plus souvent, un air superbe de la Fête d’Alexandre, de Hændel. Il n’y a pas à tricher avec cette musique-là, et il faut payer de sa personne, argent comptant. Si elle est diantrement difficile dans sa simplicité, au moins est-elle de nature à mettre en relief les qualités de celui qui s’attaque à elle, c’est-à-dire la pose de la voix, l’habileté de la vocalisation, le style et le phrasé. Tout cela n’est certainement pas complet encore dans l’exécution très intéressante de M. Vieuille, mais tout cela s’y trouve dans des proportions très satisfaisantes. Avec une suite de bon travail, ce jeune homme est en bon chemin.

Trois premiers accessits ont été adjugés à MM. Gresse, élève de M. Edmond Duvernoy, Cremel, élève de M. Warot, et Dumentier, élève de M. Masson. M. Gresse, qui est, si je ne me trompe, le fils de l’artiste de l’Opéra, s’est fait entendre dans un air de la Reine de Saba. Sa voix est une basse chantante solide et étendue. L’articulation est bonne et le chanteur n’est point sans qualités, mais il traîne trop la plupart de ses phrases, ce qui donne à l’ensemble de l’exécution une lourdeur et une froideur fâcheuses. Ah ! que nos jeunes chanteurs ont donc de peine à se décider à chanter en mesure. « La mesure ! quelle est cette bête-là ? » disait une cantatrice, c’est-à-dire une braillarde, du temps de Rameau. Or, « cette bête-là », c’est tout simplement l’âme de la musique, et il serait bon qu’on voulût enfin s’en rendre compte. — Je crois bien que c’est surtout à la puissance et à la qualité de la belle voix de ténor qu’il a déployée dans l’air du quatrième acte de l’Africaine que M. Cremel doit la récompense qui est venue le trouver à son premier concours. Pour ce qui est de l’artiste, j’ai regret à dire que tout est à faire chez lui, et qu’il ne sait encore ni émettre un son ni attaquer une note. Heureusement, l’étoffe est bonne chez lui, et s’il consent à travailler comme il convient, il a tout ce qu’il faut pour en tirer un bon parti. — M. Dumontier est un joli