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3418. — 62me ANNÉE — No 32.
Dimanche 9 Août 1896
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)

LE
MÉNESTREL

MUSIQUE ET THÉATRES
Henri HEUGEL, Directeur

Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d’abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr. ; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d’un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l’Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE

i. La distribution des prix au Conservatoire, Arthur Pougin. – ii. Musique et prison (12e article) : Prisons révolutionnaires, Paul d’Estrée. – iii. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.

MUSIQUE DE CHANT

Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :

SI VOUS ÉTIEZ FLEUR

mélodie de Depret, poésie de Jacques Normand. — Suivra immédiatement : Sérénade florentine, mélodie d’Ernest Moret, poésie de J. Lahor.


MUSIQUE DE PIANO

Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano : Un Rêve, de Ch. Neustedt. — Suivra immédiatement : Pastorale, de Ch. Grisart.

LA DISTRIBUTION DES PRIX AU CONSERVATOIRE


La distribution des prix a eu lieu mercredi dernier au Conservatoire, sous la présidence de M. Rambaud, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, qui avait tenu à rehausser par sa présence l’éclat de cette séance toujours si intéressante. Assisté de M. Henri Roujon, directeur des Beaux-Arts et de M. des Chapelles, chef du bureau des théâtres, le ministre, accompagné de M. Tirman, chef adjoint de son cabinet, a été reçu par MM. Théodore Dubois, directeur du Conservatoire, et Émile Réty, chef du secrétariat. Sur l’estrade, à côté du ministre, avaient pris place MM. Guillaume, Lenepveu, membres de l’Institut ; Jules Claretie, administrateur de la Comédie-Française ; Bertrand, directeur de l’Opéra ; les membres du comité des études et les professeurs du Conservatoire. Cette cérémonie se trouvait être en quelque sorte comme la consécration officielle de la nouvelle direction. Le ministre l’a fait justement remarquer dans son discours, et il en a saisi l’occasion pour faire en peu de mots du nouveau directeur, M. Théodore Dubois, un éloge à la fois plein de grâce et de discrétion, qui a été tout naturellement accueilli par les applaudissements unanimes de l’assemblée.

En rappelant le nouveau règlement de l’école, qu’il s’est félicité d’avoir signé, et en soulignant ses principales dispositions, le ministre n’a pas hésité, en dépit des critiques et des criailleries dont elle ne cesse d’être l’objet de la part de gens qui n’en connaissent ni la nature, ni le fonctionnement, à faire l’éloge de cette école qui est en son genre la première de l’Europe, et qu’il a qualifiée de la façon la plus heureuse en l’appelant l’« Université de France des arts du théâtre ». On ne saurait vraiment ni plus ni mieux dire, et l’expression était tout particulièrement caractéristique.

Où l’orateur s’est trouvé involontairement à côté de la vérité, c’est lorsqu’il a cru pouvoir affirmer que « le Conservatoire a été en faveur sous tous les gouvernements. » Hélas ! il en est un qui pourrait s’étonner de recevoir cette marque d’estime qu’il est loin d’avoir méritée : c’est celui de la Restauration, qui, en haine de l’origine révolutionnaire de cette institution si admirable et si utile, mit tout en œuvre pour la ruiner méthodiquement, systématiquement et de la façon la plus complète. L’excellent abbé de Montesquiou, ministre de l’intérieur de Sa Majesté Très Chrétienne, celui qui passait pour le principal, sinon l’unique rédacteur de la Charte, employa tous ses efforts pour réduire, pour amoindrir l’école au point de la rendre méconnaissable et de lui enlever en quelque sorte toute possibilité d’être utile. Il n’est pas jusqu’à ce nom de Conservatoire qui n’offensât l’oreille de ce singulier protecteur des arts et qui dut être proscrit et remplacé par celui d’École royale de musique. Sarrette, son fondateur, son directeur si intelligent, si dévoué, si désintéressé, voulut réclamer : il fut non seulement révoqué brutalement, mais chassé comme un valet, de la façon la plus indigne et la plus odieuse, et sans qu’on lui accordât à peine le temps de déménager. Le Conservatoire fut alors placé sous la tutelle d’un fonctionnaire subalterne auquel on donna simplement le titre d’inspecteur général. Une réforme ( !) générale fut opérée, et tandis que le nombre des professeurs était ridiculement réduit, les traitements de ceux qui restaient subissaient une réduction analogue. Quant aux trois inspecteurs de l’enseignement, les trois artistes illustres qui avaient nom Gossec, Cherubini et Méhul, à qui l’École devait tant de reconnaissance, on leur enlevait ce titre avec les prérogatives attachées à la fonction pour en faire de simples professeurs de composition. Enfin, le budget du Conservatoire était rogné à ce point qu’on n’avait même plus de quoi chauffer les classes l’hiver, et que, pour ne pas geler absolument, on en fut réduit à faire du feu avec des instruments superbes, devenus inutiles, et qui aujourd’hui auraient acquis une valeur inappréciable.

Voilà c que le gouvernement de la Restauration fit du Conservatoire, fondé par la République. Voilà ce qu’il n’est pas inutile que l’on sache. Voilà pourquoi il n’est malheureusement pas exact de dire que « le Conservatoire a été en faveur sous tous les gouvernements. »

Le ministre a rendu dignement à la mémoire d’Ambroise Thomas le digne hommage qu’elle méritait. Il a loué comme il convenait le grand artiste qui a tenu une si large place dans l’histoire de l’art contemporain, et en énumérant ses œuvres, en rappelant la millième de Mignon, et cette représentation d’Hamlet qui, après la mort du maître, fut « comme une fête d’apothéose », il lui a donné un souvenir ému et attendri. Et il a, d’une façon très heureuse, associé à l’éloge de l’illustre mort « celui d’un vivant, et bien vivant, » M. Émile Réty, dont les services inappréciables n’ont pas pris fin par son départ absolument volontaire, puisqu’il a « sa place marquée d’avance dans le nouveau conseil supérieur ». Sur ces mots encore les applaudissements ont éclaté, chaleureux et unanimes.

Après le chef, les serviteurs et les disciples. Le ministre a donné un regret à tous ceux, anciens professeurs, anciens élèves, que le Conservatoire a perdus au cours de l’année écoulée : Ernest Mocker, Obin, Henri Fissot, Dorus, Anaïs Fargueil, Mme Dorus-Gras[1]. Il a

  1. Chose assez singulière : en rappelant trois ouvrages dans lesquels Mocker avait brillé à l’Opéra-Comique : le Maçon, le Déserteur, le Pré aux Clercs, M. Rambaud n’a justement pas cité un seul de ceux dans lesquels il avait fait des créations : les Mousquetaires de la Reine, la Tonelli, Polichinelle, Gilles ravisseurs, le Nabab,