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LE MÉNESTREL

réformes ! Oh ! ces réformes ! quelle plat-form de toutes les médiocrités rageuses, de toutes les banales outrecuidances !

Les mœurs sont telles que les critiques les plus sérieusement compétents et les plus chevronnés s’associent à ce débordement de coups de sifflets, sans penser aux difficultés que crée cette opposition, à l’esprit d’indiscipline qu’elle engendre, aux puérils et dangereux amours-propres qu’elle surexcite.

On n’a, dans notre pays, ni le sentiment des supériorités ni le respect des hiérarchies.

En art, ce n’est que ridicule.

Mais lorsque ce travers de notre caractère s’applique à des décisions d’où peut dépendre la grandeur, sinon le salut de la patrie, il peut attirer les plus graves périls.

Avec son jeu extraordinairement fougueux et emporté, Rubinstein transformait tout ce qu’il interprétait, et donnait dans des œuvres relativement simples l’impression qu’il soulevait des montagnes.

Planté m’a conté avoir fait un long et charmant séjour en Russie, accueilli d’exquise façon par la cour et l’aristocratie, choyé par les artistes. Il voyait très souvent Rubinstein, qui l’aimait et se plaisait à lui faire exécuter ses œuvres.

Un jour, Rubinstein lui fit entendre une nouvelle production — une tarentelle, je crois, — qu’il affectionnait comme on affectionne toujours un dernier né. Il la rendit de telle façon que lorsqu’il demanda à Planté de la répandre dans ses concerts, celui-ci se récria modestement, tant elle lui avait paru hérissée de difficultés et inabordable avec quelque sécurité dans une audition publique. Mais voilà que quelque temps après, Planté ayant mis la main en Allemagne sur cette tarentelle, qui venait d’être gravée, fut très surpris de la trouver presque facile. Étant retourné en Russie, il la joua à son tour à Rubinstein qui, touché et ravi, l’embrassa avec effusion.

Sous les doigts de l’élégant pianiste français, cette pièce revêtait un caractère tout différent et semblait aisée.

Singuliers effets d’optique, qui laissent aux interprètes une noble part de création, et leur permettent de rajeunir sans cesse les œuvres auxquelles ils s’attachent, en leur imprimant un cachet personnel.

Oh ! ce retour de courant idéaliste, qui aura sans doute son influence sur la musique, je le salue avec joie comme un royaliste, à l’ardent loyalisme, saluerait le retour de son roi après un long exil !

Dans vingt ans, la mythologie scandinave, le Walhall, les Vierges guerrières, et toutes les ferblanteries épiques paraîtront aussi démodés que le paraissent aujourd’hui la mythologie grecque, l’Olympe, et les gloires de carton d’où descendaient les dieux empanachés de Quinault, de Lulli, de Rameau et de Gluck. Les chefs-d’œuvre de Wagner ne seront pas plus diminués que le furent jadis ceux de Gluck, par exemple. Mais il y aura un retour à une conception plus humaine, à l’expression de passions plus proches des nôtres, en un mot, à un drame lyrique dont l’affabulation nous touchera davantage.

Et X, Y, Z seront aussi déchus que le sont Salieri ou Sacchini, imitateurs de Gluck.

Un morceau de piano doigté est déjà à moitié su. Je ne comprends pas que toutes les publications pour cet instrument ne soient pas doigtées.

Il ne convient cependant pas toujours de s’astreindre rigoureusement aux indications de ce genre, car il en va de la main comme de la voix. Chacun doit suivre et seconder ses aptitudes naturelles. Une main maigre et très grande est disposée à d’autres flexions qu’une main petite et grasse.

Chose singulière ! il semble qu’en général, l’une a plus de puissance et de facilité, l’autre plus de netteté et de fini.

La musique n’a pas encore eu son Fromentin — peintre d’une rare distinction, d’un sens pittoresque captivant — écrivain admirable qui a su traduire dans une langue étonnement pure, précise, en même temps que mélodieuse, les sensations que donne son art.

Que de pensées exactes, exquises aussi, communes à toutes les œuvres de l’esprit, je relève dans ses Maîtres d’autrefois, celle-ci par exemple :

« Il y a dans la vie des grands artistes de ces œuvres prédestinées non pas les plus vastes, ni toujours les plus savantes, quelquefois les plus humbles, qui, par une conjonction fortuite de tous les dons de l’artiste, ont exprimé, comme à leur insu, la plus pure essence de leur génie. »

Dans un siècle ou deux, les musiciens étudieront et admireront les Maîtres Chanteurs de Wagner, comme nous admirons la Passion ou la Messe en si mineur de J.-S. Bach. Dans aucune de ses œuvres Wagner ne s’est montré plus varié, plus puissant, plus coloré, et n’a adopté une forme plus adéquate à son génie polyphonique.


NOUVELLES DIVERSES


ÉTRANGER

De notre correspondant de Belgique (10 septembre). — La réouverture de la Monnaie s’est faite le 5, avec Samson et Dalila. Cela change un peu les traditions, qui voulaient qu’un théâtre lyrique se rouvre avec une pièce du vieux répertoire. Traditions de province, si l’on veut, mais nécessaires lorsqu’il s’agit de présenter au public de nouveaux artistes, dans des rôles qu’ils connaissent la plupart du temps au bout des doigts, pour les avoir trimbalés de ville en ville, sur d’autres scènes. Il est vrai que Bruxelles n’est plus, depuis longtemps, la province. M. Saint-Saëns dégotte Meyerbeer : — c’est un signe du temps. Bientôt ce sera Wagner. Et n’avait-il pas été vraiment question de commencer par Lohengrin ?…

Quoi qu’il en soit, Samson et Dalila nous a fait faire tout de suite la connaissance de M. Imbart de la Tour, le ténor sur les épaules duquel une bonne part des destinées de la Monnaie vont reposer cette année. L’impression première a été excellente. Jolie voix de demi-caractère, bonne diction, intelligence artistique, de la chaleur et de la distinction. Avec cela on peut marcher, et Fervaal n’aura pas à se plaindre de n’avoir plus M. Gibert. On a revu aussi avec plaisir Mlle Armand dans le rôle de Dalila, qu’elle chante avec un très beau style, en dépit de sa voix encore malade, quoique meilleure depuis l’hiver dernier. Bonne « rentrée » enfin pour l’excellent M. Seguin et MM. Dinard et Journet.

Les soirées suivantes, avec le Barbier et Manon, ne nous ont pas donné de surprise, parce qu’il n’y avait pas de « débuts » ; mais elles n’en ont pas été moins agréables. L’interprétation du Barbier et celle de Manon comptaient certainement, l’an dernier, parmi les meilleures du répertoire ; elles n’ont pas changé avec Mme Landouzy, piquante Rosine et gentille Manon, MM. Boyer, Gilibert et Bonnard. Ces deux ouvrages sont restés, de leur côté, toujours adorables.

La reprise de Faust n’a pas été aussi heureuse, malgré l’intérêt de plusieurs débuts. Mme Raunay a mis dans le rôle de Marguerite, qui ne convient guère à sa voix ni à sa personne, de l’intelligence, et elle y a apporté beaucoup d’intentions ; un ténor nouveau, M. Dantu, tout à fait insuffisant, le baryton, M. Dufranne, fort bien accueilli en Valentin, et la dugazon Mlle Maubourg, assez adroite, ont pâli devant l’autorité et le talent de M. Seguin-Méphistophélès, qui a eu les honneurs de la soirée. Samedi, nous aurons d’autres intéressants débuts, ceux de Mlles Kutscherra et Goulancourt dans Lohengrin. Il ne nous restera plus guère après cela que d’entendre Mlle Jane Harding, dans la Traviata.

L. S.

— C’est décidément, paraît-il, M. Edgar Tinel qui est appelé à succéder à Ferdinand Kufferath, comme professeur de contrepoint et fugue au Conservatoire de Bruxelles. M. Edgar Tinel, qui, si nous ne nous trompons, est un ancien prix de Rome, est directeur de l’École de musique religieuse de Malines et inspecteur des écoles de musique du royaume de Belgique. Comme compositeur, il est surtout connu par une œuvre importante, un oratorio intitulé Franciscus, dont le succès a été très grand non seulement en Belgique, mais aussi en Allemagne. Très pieux, très croyant, M. Tinel, nous dit-on, a horreur du théâtre, et ne songera jamais à travailler pour la scène. Il est âgé aujourd’hui de quarante-deux ans.

— La ville de Liége célèbre en ce moment, en une série de solennités religieuses et autres, le 1200e anniversaire du martyre de saint Lambert, son patron. Ces fêtes, qui ont commencé le 6 septembre, se continueront jusqu’au 20. La Legia et les Disciples de Grétry, les deux plus célèbres société chorales du pays, prennent part tour à tour aux exécutions musicales qui sont organisées à cette occasion et parmi lesquelles il faut citer une cantate composée pour la circonstance par M. Eugène Antoine, maître de chapelle de la cathédrale, que ses compositions religieuses ont placé au premier rang des musiciens belges.

— De l’Écho musical de Bruxelles : « Paul Gilson a terminé sa cantate pour l’ouverture de l’Exposition de 1897. Elle est entièrement bâtie sur deux anciens thèmes populaires flamands. Toute la partie chorale est écrite à l’unisson, un unisson de quatorze cents voix d’hommes et d’enfants ! Le poème est de M. G. Antheunis, le traducteur du Fidelio de Beethoven. Les chœurs seront appris sous la direction de M. Bauwen, et