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Page:Le Ménestrel - 1896 - n°40.pdf/4

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LE MÉNESTREL

de rôle, la musique offre aux détenus ses consolations ou leur permet d’affirmer leur foi.

Saint-Mars, gouverneur des îles Sainte-Marguerite, disait à Barbezieux, secrétaire d’État, dans un rapport qu’il lui adressait, le 4 juin 1692, sur des prisonniers protestants devenus ses pensionnaires :

« … Le premier de ces ministres (protestants) qu’on a conduit ici chante

nuit et jour, à haute voix, des psaumes, exprès pour faire connaître ce qu’il est… Je lui ai défendu de continuer sous peine d’une grosse discipline que je lui ai donnée, ainsi qu’à son camarade Salve, qui a l’écriture en tête

sur sa vaisselle d’étain et sur son linge. »


Un autre secrétaire d’État du grand roi, Pontchartrain, mit fin à ces « grosses disciplines », trois semaines plus tard, en invitant Saint-Mars à ne pas les fouailler s’ils chantaient, mais à les mettre où ils ne pouvaient être entendus.

Certains ministres furent encore plus cruellement traités. Envoyés sur ces bagnes flottants qu’on appelait galères, ils durent partager la vie, c’est-à-dire le labeur et les misères des forçats condamnés, pour crime de droit commun, à remplir l’office de rameurs.

Les mémoires d’un de ces galériens innocents, publiés en 1865, fournissent à l’histoire des bagnes de précieux documents. Il en est qui entrent plus particulièrement dans le cas de notre étude et qu’il importe de signaler.

Notre protestant était en 1713 à Dunkerque, « sur les galères du Roi » ; et ces bâtiments avaient alors leur musique, leur orchestre, leur fanfare, ou, pour parler le langage du temps, « leur symphonie. » Les lieutenants de galère donnaient des fêtes à bord chaque fois qu’ils recevaient des personnages de distinction, et il va sans dire que la « symphonie » en était l’accompagnement obligé :

« … Nous étions sur notre galère, qui était la Commandante, presque toujours

chargés de cette fatigue extraordinaire, à cause que notre commandant, qui était très magnifique, y entretenait une belle symphonie de douze joueurs de divers instruments, tous galériens, distingués par des habits rouges et des bonnets de velours à la plaque galonnés d’or et leurs habits galonnés de jaune, qui était sa livrée.

Le chef de cette symphonie, et qui l’avait formée, était un nommé Gondi, un des vingt-quatre symphonistes du Roi, qui, par débauche ou libertinage, avait été chassé de la Cour et, s’étant enrôlé dans les troupes, en avait déserté. Ayant été repris, il fut condamné aux galères et mené sur la Commandante de celles de Dunkerque. C’était un des plus habiles musiciens de France, et il jouait toutes sortes d’instruments. La symphonie

nous attirait donc beaucoup de visites fatigantes. »


Lorsque le commandant s’en trouvait avisé, il ordonnait aussitôt « une bourrasque », c’est-à-dire « le nettoiement de la galère. » La « chiourme » était aussitôt rasée, tête et barbe ; elle devait changer de linge, revêtir la casaque rouge et prendre le bonnet de même couleur. Puis, tous les forçats allaient s’asseoir sur leurs bancs de telle sorte qu’on n’aperçut d’un bout de la galère à l’autre que leurs têtes coiffées du bonnet rouge.

Aussitôt qu’un visiteur de distinction arrivait à bord, toute la chiourme, sur un coup de sifflet, poussait avec ensemble « le cri lugubre et rauque de hau ». Elle le répétait trois fois si ce personnage était un général, ou un duc et pairs, mais jamais plus ; « le roi même n’en avait pas davantage ». Aussi appelait-on ce salut « le salut du roi ». Les forçats criaient deux fois hau, s’il s’agissait d’un marquis ou d’un comte, mais une fois seulement pour les seigneurs de moindre importance.

Alors les tambours battaient aux champs, les soldats formaient la haie, le fusil sur l’épaule. Les mâts étaient dressés, garnis de pavillons de toutes couleurs, de banderoles et de grandes flammes rouges brodées de fleur de lis jaune flottant au vent. La chambre de poupe était couverte « d’une banderolle de velours cramoisi », garni de franges d’or. « Joignez à cette magnificence les ornements en sculpture de la poupe, tous dorés jusqu’à fleur d’eau, les rames abaissées dans les bancs et élevées en dehors en forme d’ailes, toutes peintes de diverses couleurs. »

Et le malheureux qui écrit cette relation oppose à ce pompeux spectacle le tableau navrant de la misère des pauvres galériens sous leur uniforme de cérémonie, « rongés de vermine, le dos labouré de coups de corde, maigres et basanés par la rigueur des éléments et le manque de nourriture, enchaînés jour et nuit et remis à la direction de trois cruels comités qui les traitent plus mal que les bêtes les plus viles… »

En effet, après que les seigneurs et les dames visitant la galère commandante en ont fait le tour, au son de la « symphonie » de Gondi le déserteur la bête humaine avec ses trois cents têtes, exécute, pour le plus grand plaisir des nobles étrangers, l’exercice que lui ordonne chaque coup de sifflet :

« Au premier coup, chacun ôte son bonnet de dessus la tête, au second

la casaque, au troisième, la chemise. On ne voit alors que des corps nus. Ensuite on leur fait faire ce qu’on appelle en provençal le Monine, ou les singes. On les fait coucher tout à coup dans leurs bancs. Alors tous ces hommes se perdent à la vue. Après, on leur fait lever le doigt indice (index), on ne voit que les doigts ; puis le bras, puis la tête, puis une jambe, puis les deux jambes, ensuite tout droit sur leurs pieds ; puis on leur fait à tous ouvrir la bouche, puis tousser ensemble, s’embrasser, se jet l’un l’autre à bas et encore diverses postures indécentes et ridicules, et qui, au lieu de divertir les spectateurs, font concevoir aux honnêtes gens de l’horreur pour ces exercices, où l’on traite des hommes, et qui plus est,

des hommes chrétiens, comme s’ils était des bêtes brutes. »


Sur le terrain religieux, Napoléon n’était guère moins intraitable que Louis xiv, surtout pendant ses démêlés avec le pape. Un des membres du clergé français, un prêtre très fin, très souple et très délié, l’abbé d’Astros, avait pris parti pour le Saint-Père contre le tout puissant empereur. Celui-ci, exaspéré, écrasa le rebelle de tout le poids de sa colère, et le fit mettre au secret au donjon de Vincennes.

La prison était dure, la solitude complète, la nourriture plus que frugale.

Or, l’abbé, qui commençait à se lasser d’un tel régime, d’autant qu’il s’ennuyait mortellement, eut la plus heureuse des inspirations. Il se souvint qu’il avait laissé dans son petit appartement de la rue Chanoinesse un serin, son favori, qui égayait ses repas en sautillant autour de lui et qui charmait ses rares instants de loisir par une virtuosité exceptionnelle. Il demanda au gouverneur de Vincennes l’autorisation de se faire apporter l’artiste emplumé.

Le fonctionnaire cru pouvoir accorder à son prisonnier sa demande, et le serin, admis dans l’intimité du prisonnier, recommença en prison ses vocalises des jours heureux. D’Astros y prenait un plaisir extrême. Aussi, dans l’élan de sa reconnaissance pour le virtuose dont le gazouillement reculait sans doute pour lui les limites d’un horizon trop étroit, l’abbé s’empressa-t-il de tracer en son honneur ce quatrain sur les murs de sa cellule :

Chantez, mon beau serin. Votre joyeux ramage
Instruit, en l’égayant, l’hôte de ce donjon ;
Et comme vous vivez content dans votre cage,
Le sage saura vivre heureux dans sa prison.

La poésie du détenu était, paraît-il, séditieuse. Un gardien vint l’effacer. D’Astros se consola aisément de cette mesquine tracasserie. Mais un chagrin autrement grave l’attendait. Les oiseaux, mêmes privés, sont comme les fleurs d’appartement : l’atmosphère de la prison leur est fatale. Le serin de l’abbé mourut avant que son maître fût délivré, et celui-ci, que la disgrâce avait toujours trouvé souriant, pleura toute une journée sur le corps inanimé de l’ami des mauvais jours.

(À suivre.)

Paul d’Estrée.

LE CONSEIL SUPÉRIEUR D’ENSEIGNEMENT AU CONSERVATOIRE


Par arrêté en date du 29 septembre 1895, le ministre de l’instruction publique et des beaux-arts a décidé de la façon qui suit la composition du conseil supérieur d’enseignement au Conservatoire :

Membres de droit des deux sections.

Le ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, président ;

Le directeur des beaux-arts, vice-président ;

Le directeur du Conservatoire national de musique et de déclamation vice-président ;

Le chef du bureau des théâtres.

Section des études musicales.

MM. Reyer, membre de l’Institut ;

Massenet, membre de l’Institut ;

Saint-Saëns, membre de l’Institut ;

Paladilhe, membre de l’Institut ;

Joncières, compositeur de musique ;

E. Réty, administrateur honoraire du Conservatoire national de musique et de déclamation ;

Lenepveu, membre de l’Institut, professeur au Conservatoire ;

Widor, professeur au Conservatoire ;

Taffanel, professeur au Conservatoire.

Et les trois professeurs qui seront élus par leurs collègues.

Section des études dramatiques.

MM. Sardou, de l’Académie française ;

L. Halévy, de l’Académie française ;