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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/100

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hommes sondaient de l’œil ce vide, cramponnés les uns aux autres. Un coup de roulis nauséeux et sournois faillit les envoyer tous par-dessus bord en pagaye. Belfast hurla : « A Dieu vat ! » et sauta. Archie suivit lestement, crochant dans des étagères qui cédèrent sous son poids, et se reçut dans un grand bruit de bois fracassé. Il y avait à peine la place pour trois hommes. Dans le carré d’azur ensoleillé de la porte, la figure du maître d’équipage sombre et barbue, celle de Wamibo, hagarde et blême, se suspendaient, guettant.

Ensemble ils hélèrent : « Jimmy ! Jim ! » D’en haut, la grosse voix du maître gronda pour sa part « Wait ! bougre de… » Dans une pause, Belfast implora : « Jimmy chéri, c’est-il que t’es vivant ? » Le maître dit : « Encore ! Tous ensemble, les gars ! » Tous clamèrent frénétiquement. Wamibo faisait entendre des sons pareils à des abois sonores. Belfast tambourinait sur la cloison avec un morceau de fer. Tout cessa brusquement, mais un bruit de cris et de coups frappés continua, grêle et distinct, tel un solo suivant un chœur. Il vivait. Nous attaquâmes avec l’énergie du désespoir l’abominable entassement de choses lourdes, de choses coupantes, de choses gauches à manier. Le maître d’équipage s’en alla rampant, en quête d’un bout de corde ; et Wamibo, retenu par des cris de : « Ne saute pas !… Ne viens pas ici, tête de bois ! » restait à rouler ses yeux désorbités au-dessus de nous, tout en prunelles blanches, crocs luisants, cheveux embroussaillés. On eût dit un démon à demi brute se délectant émerveillé devant l’extraordinaire agitation des damnés. Le maître nous adjura de nous « débrouiller » : une corde descendit ; nous y attachâmes des objets qui s’envolèrent tournoyants et que l’œil de l’homme ne devait plus revoir. Une rage de tout jeter par-dessus bord nous posséda.