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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/101

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Nous travaillions furieusement, nous coupant les doigts, avec des mots brutaux à l’adresse l’un de l’autre. Jimmy continuait un concert affolant : cris perçants de femme torturée jetés sans reprendre haleine, coups redoublés des pieds et des mains. L’excès de sa terreur tordait si cruellement nos cœurs, qu’il nous tardait de l’abandonner, de sortir de ce lieu profond comme un puits et vacillant comme un arbre, de ne plus entendre, enfin regagnée la dunette où nous pourrions passivement attendre la mort en un incomparable repos. Nous lui criâmes : « Ferme, ferme, nom de Dieu ! » Il redoubla. Il devait s’imaginer que nous ne l’entendions pas.

Sans doute sa propre clameur ne lui parvenait qu’affaiblie. Nous nous le représentions accroupi sur le bord de la couchette du haut, tapant des deux poings sur les planches dans l’obscurité, la bouche grande ouverte par ce cri qui ne cessait pas. Odieuses minutes. Un nuage passant sur le soleil enténébra d’une menace l’ouverture de la porte. Chaque mouvement du navire était une souffrance. Nous nous démenions au hasard, suffoqués par le manque d’air et en proie au plus affreux malaise. Le maître nous objurguait d’en haut : « Débrouillez-vous ! Débrouillez-vous ! On va se faire emporter à la mer, nous deux ici tout de suite, si vous ne vous pressez pas ! » Trois fois une lame bondit par-dessus le flanc le plus haut et versa des baquets d’eau sur nos têtes. Alors Jimmy, effrayé par le choc, s’arrêtait un moment — attendant peut-être que le vaisseau coulât — puis reprenait, de plus belle, le cri de sa détresse, comme ragaillardi par une bouffée de peur.

Au fond, les clous formaient une couche de plusieurs pouces d’épaisseur. C’était affreux. Tous les clous de l’univers non fichés quelque part semblaient s’être donné