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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/111

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à l’arrière et commença de marcher à quatre pattes avec les mouvements de quelque lourd animal circonspect. C’était M. Baker passant l’inspection des hommes. Il grognait d’un ton encourageant au-dessus de chacun, éprouvant leurs amarres. Certains, les yeux mi-clos, soufflaient comme opprimés par la chaleur ; d’autres, machinalement, avec des voix de rêve, faisaient : « Oui ! oui ! sir ! » Il allait de l’un à l’autre grognant : « Hou !… On l’en tirera encore » ; et, subitement, avec des éclats de bruyante colère, se mit à enlever Knowles pour avoir coupé un bout de corde au garant du palan de barre :

— Hou !… Tu n’as pas honte… Palan de barre… Tu ne sais pas ça !… Hou !… un gabier breveté. Hou ! Le boiteux confondu balbutia :

— Il me fallait bien une amarre pour moi, sir.

— Hou ! Une amarre… pour toi. Es-tu tailleur ou matelot ? … Quoi ? Hou !… On peut avoir besoin de ce palan-là tout de suite… Hou !… Il ferait plus de bien au bateau qu’à ta carcasse de bancal. Hou !… Garde-la ! Garde-la à présent que c’est fait.

Il s’en fut, rampant sans hâte, tout en marmottant des choses au sujet d’hommes « quasi pires que des enfants ». L’algarade nous rendit du cœur. Des exclamations contenues s’échangèrent : « Entends-tu ?… Hé… » Des dormeurs réveillés en sursauts convulsifs de sommes douloureux interrogeaient : « Quoi ? Qu’est-ce que c’est ? » Un ton de bonne humeur imprévue sonna dans les réponses : « Le second qui lave la tête au boiteux pour je ne sais quoi… » « Tu blagues !… » « Ce qu’il a fait ? » Quelqu’un même étouffa un rire. Il sembla qu’un petit souffle d’espoir venait nous rafraîchir comme rappel des jours de sécurité passée. Donkin, jusque-là stupéfié par l’effroi, revint à lui soudain et se mit à brailler.