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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/114

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traits de camarades oubliés et prêtaient l’oreille aux voix de patrons morts depuis des années. Ils se souvenaient du bruit des rues entre leurs becs de gaz, de la touffeur et de la fumée des bars ou du torride soleil des jours de calme en mer.

M. Baker quitta son poste périlleux et se traîna en faisant halte de temps à autre le long de la dunette. Dans l’ombre, à quatre pattes, il ressemblait à quelque fauve flairant parmi les cadavres. En arrivant au fronteau, accoté sous le vent d’une épontille, il plongea les yeux vers le pont. Il lui parut que le navire montrait une tendance à se redresser un peu. L’ouragan, semblait-il, avait molli, mais la mer restait aussi mauvaise que jamais. Les vagues écumaient avec rage et le côté du pont sous le vent disparaissait dans une blancheur sibilante comme de lait bouillant, tandis que le gréement vibrait continûment, tenant une note de basse profonde, et qu’à chaque oscillation du navire pour se relever, le vent se ruait avec une clameur prolongée parmi les espars. M. Baker sans dire mot regardait. Un homme à côté de lui se mit à faire un bruit bégayant de la bouche, tout d’un coup et très fort, comme si le froid, brutalement, l’eût transi de part en part. Il balbutiait : « Ba… ba… ba… brr… brr… ba… ba… »

— Tais-toi, dit M. Baker en tâtonnant dans l’ombre. Veux-tu te taire !

Il continua de secouer la jambe qui se trouvait à portée de sa main.

— Qu’est-ce qu’il y a, sir, héla Belfast, du ton d’un homme réveillé en sursaut ; on soigne ce Jimmy de malheur.

— C’est-il ça ? Hou ! Ne faites pas ce bruit alors. Qui est là contre toi ?