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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/117

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l’extrémité du pont, dans la vague phosphorescence de l’eau écumante.

— Ce sont des pécheurs, continua le coq avec solennité mais d’une voix mal assurée. Il n’y a pas pire comme équipage de bateau en ce monde de perdition ! Pour ce qui est de moi — il tremblait si fort qu’il pouvait à peine parler, sa place était parmi les plus exposées, et, en chemise de coton, pantalons minces, les genoux sous le nez, il recevait, en arrondissant le dos, les cinglées de gouttes lancinantes et salées, le son de sa voix trahissant l’épuisement — pour ce qui est de moi… À toute heure… Mon aîné, M. Baker… un gamin intelligent… mon dernier dimanche à terre avant ce voyage, voilà qu’il ne veut pas aller à l’église, sir. Je dis comme ça : « Va-t’en te nettoyer ou je saurai pourquoi ! » Devinez ce qu’il va faire ?… Le bassin, M. Baker, il faut qu’il se fiche dans le bassin du jardin, tout paré en tenue no 1, sir !… Un accident ?… Tu n’y couperas pas, tout malin sur les livres que tu sois, que je dis… Tu vas voir l’accident !… Je l’ai fessé, sir, à n’en plus pouvoir lever le bras…

Sa voix faiblit :

— Fessé, fit-il encore en claquant des dents.

Puis, après une pause, il laissa échapper une sorte de râle lugubre, moitié plainte, moitié ronflement. M. Baker le secoua par les épaules :

— Hé, coq ! Réveille-toi, Podmore ! y a-t-il de l’eau à boire dans la caisse à eau de la cuisine ? Le bateau donne moins de bande, il me semble ; j’ai envie d’aller à l’avant. Un peu d’eau leur ferait du bien. Hé bien quoi ? Attention ! Prends garde !

Le coq se débattait.

— Pas vous, sir, pas vous !

Il se mit à grimper du côté du vent.