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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/136

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— Ben quoi ? Elle est bonne.

Puis au souvenir subit de ses habits perdus, il laissa tomber l’objet et se mit à jurer. Dans le clair-obscur, des voix sacraient à contretemps. Un homme entra et, les bras ballants, resta immobile, répétant du seuil :

— En v’la un sacré coup ! En v’la un sacré coup !

Quelques-uns fouillaient dans des coffres inondés en quête de tabac. Ils soufflaient fort, braillaient, la tête disparue :

— Vois ici, Jack !… Hé là, Sam, v’la mes effets de terre fichus pour toujours.

Un matelot blasphémait d’une voix pleine de larmes en élevant une paire de pantalons ruisselants. Personne ne le regardait. Le chat sortit de quelque part. On lui fit une ovation. Empoigné, il passa de main en main, étouffé de caresses, dans un murmure de petits noms d’amitié. On se demanda où il avait passé le grain, on disputa sur ce point. Une discussion oiseuse s’engagea. Deux hommes entrèrent avec un seau d’eau fraîche. Tous se pressèrent autour ; mais Tom, maigre et miaulant, tous les poils frémissants, arriva et but le premier. Un couple d’hommes prit le chemin de l’arrière en quête d’huile et de biscuit.

Alors, dans la lumière jaune, en se reposant d’éponger le pont, ils broyèrent des croûtes dures et prirent le parti de narguer tant bien que mal la mauvaise fortune. Des matelots s’apparièrent quant aux couchettes. On établit des tours pour le port de bottes et de cirés. Ils se traitèrent de « ma vieille » et de « fiston » en voix réjouies. Des claques amicales sonnèrent. On criait des plaisanteries. Un ou deux dormeurs étendus à même le pont humide se faisaient un oreiller de leurs bras repliés et plusieurs fumaient assis sur le panneau. Les figures défaites paraissaient, à travers la légère buée bleue, pacifiées et les yeux