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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/158

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la clarté d’une mer calme. Le quart relevé passa en corps à grand bruit de lourdes semelles, dans la lueur projetée par la porte. Quelqu’un cria : « Bonsoir ! » Belfast fit halte un moment, allongea la tête vers Jimmy et resta frémissant et muet comme d’émotion réprimée. Il jeta au coq un regard chargé de funèbres augures et disparut. Le coq toussa pour s’éclaircir la voix. Jimmy, les yeux au plafond, ne faisait pas plus de bruit qu’un homme qui se cache.

Une brise très douce éventait la nuit claire. Le navire donnait légèrement de la bande, glissant tranquillement sur une mer sombre vers l’inaccessible splendeur en fête d’un horizon criblé de points de feu. Au-dessus des mâts, la courbe resplendissante de la voie lactée chevauchait le ciel, arc triomphal d’éternelle lumière, jeté sur la terre et son sentier ténébreux. A la pointe du gaillard d’avant, un homme sifflait avec une netteté bruyante un air vif de gigue, tandis qu’on entendait vaguement un autre tapant des pieds en mesure. Un murmure confus de voix arriva de l’avant : des rires, des refrains. Le coq secoua la tête, épia Jimmy d’un œil oblique et se prit à marmotter :

— Oui-da. Danser et chanter. Ils ne pensent qu’à ça. Je m’étonne que la Providence ne se lasse pas. Ils oublient le jour qui doit sûrement venir… tandis que toi…

Jimmy avala une gorgée de thé, précipitamment, comme s’il l’eût volée et se blottit sous sa couverture, en appuyant de côté vers la cloison. Le coq se leva, ferma la porte, puis se rassit et, nettement, articula :

— Chaque fois que je tisonne mon fourneau, je pense à vous autres jurant, volant, mentant et pis encore, comme si un autre monde ça n’existait pas. Pas mauvais garçons, avec ça, concéda-t-il d’une voix ralentie ; il musa