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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/160

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blanche nuée. Une voix formidable tonna ! Cela dura trois secondes.

— Jimmy ! s’écria-t-il, d’un ton inspiré. Puis il hésita. Une étincelle de pitié humaine luisait encore à travers l’infernale vanité de son rêve fumeux.

— Quoi ? dit James Wait à contrecœur. Un silence régna. Il tourna la tête à peine et risqua un regard timide. Les lèvres du cuisinier bougeaient sans bruit ; dans sa figure illuminée les yeux fixaient le ciel. Il semblait implorer en son for intérieur les poutres du plafond, le crochet de cuivre de la lampe, deux cafards.

— Dis donc, fit Wait, je veux dormir. Je crois qu’il y aurait moyen.

— Ce n’est pas le moment de dormir, exclama le coq très haut. Il avait dévotement secoué ses derniers scrupules d’humanité. Il n’était plus qu’une voix — un je ne sais quoi de sublime et de désincarné — de même qu’en cette nuit mémorable, la nuit où il franchit les mers pour faire du café à des pécheurs en perdition.

— Ce n’est pas le moment de dormir, répéta sa voix exaltée. Est-ce que je peux dormir, moi ?

— M’en f…, dit Wait, avec une énergie factice. Moi je peux. Va te coucher.

— Il jure… Dans la gueule même…, presque dans la gueule… Ne vois-tu pas le feu…, ne sens-tu pas la fournaise ? Malheureux aveugle, gorgé de péché ! Je le vois pour toi. Ah ! c’en est trop. J’entends jour et nuit une voix qui me dit : Sauve-le ! Jimmy laisse-toi sauver !

Les mots de prière et de menace sortirent de sa bouche comme un torrent déchaîné. Les cafards s’enfuirent. Jimmy transpirait, se tortillait sournoisement sous sa couverture. Le coq brailla :

— Tes jours sont comptés !