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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/193

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la phalange élue des sauveteurs de Jimmy, il défiait tout soupçon. Archie, silencieux en général, passait souvent une heure à causer avec Jimmy tranquillement, d’un air de propriétaire. A toute heure du jour, et souvent la nuit, on pouvait voir un homme assis sur le coffre de Jimmy. Le soir, entre six et huit, la cabine était comble, un groupe attentif stationnait à la porte. Tous regardaient le nègre.

Il se prélassait à la chaleur de notre sollicitude. Ses yeux luisaient ironiques et d’une voix faible il nous reprochait notre lâcheté. Il disait : « Si vous aviez tenu bon pour moi, vous autres, je serais sur pied à cette heure. » Nous baissions la tête. « Oui, mais si vous croyez que je vais me laisser mettre aux fers histoire de vous distraire… Dame, non… Ça me ruine la santé de rester couché comme ça. Vous vous en fichez ! » Nous étions aussi confondus que s’il avait dit vrai. Sa superbe impudence balayait tout devant elle. Nous n’aurions pas osé nous révolter. En vérité, nous ne le voulions pas. Ce que nous voulions, c’était le garder en vie jusqu’au port et la fin du voyage.

Singleton, comme de coutume, se tenait à l’écart, paraissant mépriser les insignifiants épisodes d’une existence révolue. Une fois seulement il vint et, à l’improviste, fit halte sur le seuil. Il examina Jimmy en un profond silence comme s’il désirait joindre cette noire image à la foule des ombres qui peuplaient son vieux souvenir. Nous nous tenions très tranquilles et pendant un long moment Singleton resta là comme s’il venait à la suite d’un rendez-vous faire une visite de cérémonie ou contempler quelque notable événement. James Wait demeurait parfaitement immobile, sans conscience apparente du regard qui le scrutait, rivé sur lui et plein d’attente. Une