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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/194

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impression de joute engagée régna. Nous éprouvions la tension intérieure d’hommes qui assistent à une reprise de lutte. Jimmy enfin avec une appréhension visible tourna la tête sur l’oreiller.

— Bonsoir, dit-il d’un ton conciliant.

— H’m, répondit le vieux marin bourrument.

Il continua un moment d’examiner Jimmy avec une fixité sévère, puis soudain s’en fut. Pendant longtemps après sa sortie nul n’éleva la voix dans la petite cabine, quoique nous respirions tous plus librement, comme on fait quand on a réchappé d’une circonstance dangereuse. Nous connaissions tous les idées du vieux au sujet de Jimmy et nul n’osait les combattre. Elles nous bouleversaient, nous peinaient et le pis c’est que, en somme, elles pouvaient bien être justes. Une fois seulement il condescendit à les exposer sans réticence, mais nous en gardâmes durable le souvenir. Il dit que Jimmy était la cause des vents debout. Les moribonds, maintenait-il, traînent jusqu’à la première vue de terre, puis meurent ; Jimmy savait que la terre tirerait de sa poitrine son dernier soupir. N’en est-il pas ainsi sur tous les navires ? Ne le savions-nous pas ? Il ajouta d’un ton de dédain austère : Que savions-nous donc ? Qu’allions-nous mettre en doute encore ? Le désir de Jimmy encouragé par nous, aidé par les sorts de Wamibo (un Finnois pas vrai ? Très bien !) conspirait pour attarder le navire. Il fallait des lourdauds stupides pour ne pas s’en apercevoir. Qui avait jamais ouï parler d’une série pareille de calmes et de vents contraires ? Ça n’était pas naturel…

Nous en convenions, c’était étrange. Nous nous sentions mal à l’aise. Le dicton vulgaire : « Plus de jours, plus de dollars », ne nous réconfortait pas comme de coutume, car les vivres tiraient à leur fin. Beaucoup avaient