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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/209

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le nez dessus. Il saisit le bouton avec précaution, mais, dans le même instant, reçut l’impression irrésistible de quelque chose survenant derrière son dos. Il pivota comme si on lui eût frappé sur l’épaule. Cela se fit juste à temps pour voir les yeux de Jimmy flamber soudain puis s’éteindre tout de suite, comme deux lampes raflées par un coup fauchant. Un filet écarlate pendit de la commissure des lèvres le long du menton. Il avait cessé de respirer.

Donkin ferma la porte derrière lui, sans bruit, mais avec fermeté. Des dormeurs en tas sous des cabans bossuaient le pont éclairé de tertres obscurs et difformes qui ressemblaient à des tombes mal tenues. On n’avait rien fait de la nuit, l’absence d’un matelot avait passé inaperçue. Il restait sans mouvement et confondu de trouver le monde extérieur tel qu’il l’avait quitté ; tout était là : mer, navire, dormeurs, et il en concevait un étonnement absurde comme s’il s’était attendu à retrouver les hommes morts, les choses familières évanouies à jamais — comme si, voyageur revenu après maintes années, des changements surprenants avaient dû le frapper.

Il frissonna légèrement dans la fraîcheur pénétrante de l’air, et se pressa dans ses bras d’un air abattu. La lune déclinante penchait tristement dans le ciel occidental, comme fanée par le baiser glacé d’une pâle aurore. Le navire dormait. Et la mer immortelle s’étendait au loin, Immense, embrumée, image de la vie miroitante au-dessus d’abîmes sans clarté ; prometteuse, avide, inspiratrice — terrible. Donkin lui coula un regard de défi et s’esquiva sans bruit, comme jugé, maudit et banni par l’auguste silence de sa souveraineté.

La mort de Jimmy, après tout, tomba comme une surprise extraordinaire. Nous ignorions encore toute la foi