Aller au contenu

Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Baker fourra en toute hâte le livre dans sa poche.

— A l’avant, vous autres, largue l’amure de misaine ! héla-t-il allégrement, tête nue et gaillard. Les tribordais brasse carré derrière.

— Du bon vent ! Du bon vent ! murmuraient les hommes en courant à la manœuvre.

— Qu’est-ce que je disais, grommela le vieux Singleton en ajoutant, d’un geste énergique et vif, une spire de câble après l’autre au tas de filin à ses pieds ; je le savais bien — il est parti — et v’là la brise.

Elle vint avec le bruit d’un soupir puissant descendu des hauteurs. Les voiles s’emplirent, le navire prit de l’erre et la mer réveillée se mit à murmurer à voix assoupie les chansons du retour aux oreilles des matelots. Cette nuit-là, tandis que le navire courait écumant vers le nord, devant la brise fraîchissante, le maître d’équipage épancha son cœur au carré des officiers mariniers :

— Ce gars-là ne nous a donné que du mal depuis le moment qu’il a mis le pied à bord. Vous souvenez-vous, cette nuit, à Bombay ?… Après avoir brimé de haut en bas cet équipage de poules mouillées, et affronté le vieux, il nous a fallu faire les imbéciles à tous les bouts d’un bateau à demi sombré, histoire de lui sauver la vie. Rapport à lui encore, on frise bel et bien une révolte et v’là le second qui m’enlève comme un voleur à cause que j’oublie censément de coller une motte de graisse sur ces faillies planches. Sans compter que je l’avais fait, mais tu aurais pu te dispenser d’y laisser une pointe de clou qui dépasse, hé, Copain-Copeaux ?

— Et toi de fiche tous mes outils à l’eau à cause de lui comme un blanc-bec qu’a le taf, rétorqua le charpentier d’un ton morose. Le v’là toujours parti après, à c’t heure, ajouta-t-il, rancunier jusqu’au bout.