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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/221

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continents planait en brefs essors tournoyants ; et une odeur pénétrante de parfums et d’ordure, d’épices et de peaux, de choses coûteuses et de choses immondes envahissait tout cet espace, lui créait une atmosphère précieuse et répugnante.

Le Narcisse entra doucement dans le bassin de son repos ; l’ombre des murs sans âme tomba sur lui, la poussière de tous les continents arriva dansante à l’assaut de ses ponts et un essaim d’hommes étrangers escaladant ses flancs en prirent possession au nom de la terre sordide.

Il avait cessé de vivre.

Un faraud en paletot noir et chapeau de haute forme grimpa avec agilité, s’avança vers le lieutenant, lui donna la main et dit : « Hallo, Herbert. » C’était son frère. Une dame apparut soudain. Une vraie, en robe noire, avec une ombrelle. Elle sembla prodigieusement élégante au milieu de nous, et plus étrange que si elle était tombée du ciel. M. Baker toucha sa casquette en l’apercevant. C’était la femme du patron. Et bientôt le capitaine, fringué de neuf sur une chemise blanche, descendit à terre en sa compagnie. Nous ne le reconnûmes pas jusqu’à ce que, se retournant, il hélât du quai M. Baker.

— Rappelez-vous de remonter les chronomètres demain matin.

Une escouade sournoise de malingreux à l’œil mobile errait dans le gaillard d’avant en quête d’un coup de main à donner, disaient-ils.

— Plus probable qu’ils cherchent quelque chose à frire, commenta Knowles avec bonne humeur. Pauvres bougres. Qu’importait. N’était-on pas rendus !

Mais M. Baker empoigna l’un d’eux qui s’était comporté avec insolence et cela nous ravit. Tout nous ravissait.

— J’ai fini à l’arrière, sir, cria M. Creighton.