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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/223

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navire, rôdait, seul et grognant, éprouvant des boutons de porte, plongeant dans des recoins obscurs, jamais content. — Officier modèle ! Personne ne l’attendait à terre. Mère morte ; le père et les deux frères, pêcheurs de Yarmouth, perdus ensemble sur le Dogger-Bank ; une sœur, mariée, pas bien pour lui. Une vraie dame. Mariée au tailleur principal et politicien influent d’une petite ville, lequel ne jugeait pas son beau-frère marin tout à fait assez « respectable ». Une vraie dame, là, une vraie, songeait-il en se reposant un moment sur un panneau. Il serait toujours temps de descendre à terre, de manger un morceau et de chercher un lit quelque part. Il n’aimait pas à se séparer d’un bateau. A quoi penser ensuite ? L’obscurité d’un soir de brume tombait humide et froide, sur le pont désert ; et M. Baker, toujours fumant, pensait à tous les navires successifs auxquels, pendant maintes longues années, il avait prodigué le meilleur de ses soins et de son expérience de marin. Et jamais un commandement en chef. Pas une fois ! « Paraît que je n’ai pas la coupe d’un capitaine », médita-t-il placidement, tandis que le gardien (qui avait pris possession de la cuisine), vieillard ratatiné, aux yeux larmoyants, le maudissait à voix basse de s’attarder si longtemps. Creighton, lui — il poursuivait sa pensée exempte d’envie — un vrai gentleman…, des protections…, arrivera. Un garçon très chic… avec un peu plus d’expérience.

Il se leva, secouant tout cela :

— je serai de retour à la première heure, demain matin, pour les panneaux. Ne laissez personne toucher à rien avant que j’arrive, gardien, héla-t-il.

Puis, enfin, lui aussi descendit à terre, modèle des officiers en second.