Aller au contenu

Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Donkin, répondit-il, effronté mais jovial.

— Qu’est-ce que tu fais ? demanda une autre voix.

— Ben, le matelot, comme toi, mon vieux.

Le ton visait à la cordialité, mais n’arrivait qu’à l’impudence.

— Du diable si tu ne marques pas plus mal qu’un soutier dans la débine ! commenta l’autre à mi-voix et d’un ton convaincu.

Charley leva la tête et d’un insolent galoubet :

— C’est un homme et c’est un marin.

Puis, s’essuyant le nez d’un revers de sa main, il se courba de nouveau industrieusement sur son bout de filin. Quelques-uns rirent. D’autres dévisagèrent l’intrus, perplexes. Le loqueteux s’indigna :

— En voilà une manière de recevoir un copain dans un gaillard d’avant, jappa-t-il. Êtes-vous des hommes, ou un tas de cannibales sans cœur ?

— Ne va pas ôter ta chemise pour un mot en l’air, camarade. Ça ne vaut pas une chiquenaude, héla Belfast en se dressant d’un bond devant lui, furieux, menaçant et amical tout ensemble.

— Est-il aveugle, cet autre ? demanda l’indomptable fantoche, en regardant autour de lui d’un air de surprise feinte. Il ne voit donc pas que j’en ai plus de chemise ?

Il étendit les deux bras en croix et secoua les haillons qui recouvraient ses os d’un geste dramatique.

— Et pourquoi ? continua-t-il très haut. Les salauds de Yankees ont voulu me mettre les tripes au vent parce que je défendais mes droits comme un brave. Je suis anglais, nom de Dieu. Ils me sont tombés dessus et j’ai fichu le camp. V’là la raison. Vous n’avez jamais vu un homme dans la purée ? Hein ? Qu’est-ce que c’est qu’un sacré bateau comme ça ? Je suis fauché. J’ai rien. Pas de sac,