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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/35

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pas de lit, pas de couverture, pas de chemise, pas une sacrée nippe autre que ce que je porte. Mais au moins j’ai pas cané devant ces salauds de Yankees. Y a personne ici qui aurait un grimpant pour un poteau dans la mouise ?

Il savait par quels moyens séduire l’instinct naïf de cette foule. Tout d’un coup, ils lui donnèrent leur compassion blagueuse, méprisante ou bourrue. Elle prit d’abord la forme d’une couverture jetée à sa tête, comme il se tenait, devant eux, la peau blanche de ses membres attestant son humanité fraternelle à travers la noire fantaisie de ses loques. Puis une paire de vieux souliers vint rouler à ses pieds boueux. Accompagné d’un cri de : Gare dessous ! un vieux pantalon roulé, lourd de taches de goudron, le frappa à l’épaule. Le souffle de leur bienveillance soulevait un flot de pitié sentimentale dans leurs cœurs indécis. Leur propre spontanéité à soulager la misère d’un des leurs les emplissait d’attendrissement. Des voix crièrent : « On t’équipera, vieux ! » Des murmures se croisèrent : « Jamais vu ça… Pauvre bougre… J’ai un vieux gilet, ça peut-il te servir ?… Prends-le, mon matelot. »

Ces rumeurs amicales emplissaient le gaillard. L’objet de ces largesses, ramant de son pied nu, les rassembla en tas, tandis que son regard circulaire en mendiait davantage. Sans émotion, Archie ajouta consciencieusement au tas une vieille casquette à visière arrachée.

Le vieux Singleton, perdu dans les régions sereines de la fiction, continuait de lire et ne daignait rien voir. Charley, sans pitié à cause de la sagesse du jeune âge, pipa :

— Si tu veux des boutons dorés pour tes uniformes neufs, j’en ai deux.

L’infect tributaire de la charité universelle brandit son poing vers le novice :

— Toi, j’aurai l’œil à ce que tu tiennes ce plancher