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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/45

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observa tranquillement que c’est bien à quoi il s’attendait. Son ton laissait percer une pointe d’amertume que M. Baker, brave homme, prit à cœur de raisonner.

— Voyons, voyons, jeune homme, dit-il, grognant entre chaque mot. Voyons, il ne faut pas être trop gourmand. Vous avez eu ce grand Finnois dans votre bordée tout l’autre voyage. Je veux être juste. Je vous laisse ces deux jeunes Scandinaves et moi… Hou ! je prends le nègre et aussi… Hou ! ce marchand de mouron crâneur à redingue noire. Faudra qu’il… Hou ! marche droit ou mon… Hou !… nom n’est pas Baker. Hou ! Hou ! Hou !

Il grogna trois fois de suite, férocement. C’était un tic à lui cette habitude de grogner entre ses mots et à la fin des phrases. Un beau grognement appuyé, décisif, qui allait bien avec l’accent de menace dont il articulait les syllabes, avec son torse lourd au cou de bœuf, sa dégaine saccadée et roulante ; avec sa large face couturée, ses yeux droit posés et sa bouche sardonique. Mais dès longtemps ce tic avait perdu son effet sur l’équipage.

On aimait le second ; Belfast, qu’il affectionnait et qui le savait, l’imitait derrière son dos ou presque. Charley, mais plus prudemment, parodiait sa démarche. Certaines de ses phrases avaient pris rang de dictons établis et quotidiens sur le gaillard d’avant. Comble de popularité ! De plus tous s’accordaient à convenir qu’à l’occasion le second pouvait « river son clou à un type », en vrai style américain.

À présent il donnait ses derniers ordres :

— Hou… ! Toi, Knowles ! Fais monter tout le monde à quatre heures. Je veux… Hou !… virer à pic avant l’arrivée du remorqueur. Ouvrez l’œil pour le capitaine. Je me couche tout habillé… Hou !… Appelez-moi quand vous verrez l’embarcation arriver. Hou ! Hou !… Le