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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/48

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Golden State, bafouilla Donkin en mordant à même au tabac.

Le nègre siffla tout bas.

— Déserté ? dit-il courtement.

Donkin fit signe que oui, la joue bombant.

— Oui, j’ai foutu le camp, mâchonna-t-il. Ils avaient tué à coups de botte un gars de Dago ce passage-ci, mon tour aurait suivi. Je me suis tiré.

— Laissé votre gréement derrière ?

— Gréement et sous, répondit Donkin en élevant la voix. J’ai rien. Pas d’habits, pas de lit. Y a ici un petit bancal d’Irlandais qui m’a passé une couverte. Paraît qu’il faudra me coucher dans le petit foc ce soir.

Il sortit traînant derrière lui la couverture par un coin. Singleton, sans un regard, s’écarta légèrement pour le laisser passer. Le nègre serra ses hardes de terrien et en tenue propre de travail s’assit sur son coffre, un bras allongé par-dessus ses genoux. Après avoir dévisagé Singleton quelque temps, il demanda pour la forme :

— Quelle espèce de navire, c’est-il ? Pas mauvais ? Hein ?

Singleton ne bougea pas. Longtemps après il dit, le visage immobile :

— Le navire ? Les navires sont tous bons. Mais c’est les hommes…

Il continua de fumer en un profond silence. La sagesse d’un demi-siècle passé à écouter le tonnerre des vagues avait inconsciemment parlé par ses vieilles lèvres. Le chat ronronnait sur le cabestan. Alors James Wait eut une quinte de toux raclante et rugissante, qui le secoua, le ballotta comme un ouragan et le jeta haletant, les yeux hors la tête, de tout son long sur son coffre. Plusieurs hommes se réveillèrent. L’un, d’une voix endormie, cria