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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/47

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les ombres des épontilles et du beaupré, Donkin mâchait un quignon de biscuit dur, assis à même le pont, les orteils en l’air, les yeux mobiles ; il tenait le biscuit à pleine poignée devant sa bouche et y mordait à mâchoires rageuses. Des miettes tombaient entre ses jambes écartées. Puis il se leva.

— Où est l’eau ? demanda-t-il d’une voix contenue.

Singleton, sans parler, fit un geste de sa forte main où charbonnait une pipe courte. Donkin se pencha, but au gobelet d’étain, éclaboussant les planches, se retourna et aperçut le nègre qui le regardait par-dessus l’épaule, calme, de très haut. L’autre se rapprocha de côté.

— En v’là un sacré souper, siffla-t-il avec amertume. Mon chien chez nous n’en voudrait pas. C’est assez bon pour nous autres. Du propre un gaillard d’avant pareil pour un grand navire… Pas un fichu morceau de bidoche dans les gamelots. J’ai visité tous les caissons.

Le nègre le dévisagea de l’œil d’un homme auquel on adresse la parole à l’improviste en un idiome étranger. Donkin changea de ton.

— Passe-moi une carotte de tabac, camarade, fit-il confidentiellement. Il y a un mois que je n’ai fumé ni chiqué. Ça me fait besoin à en devenir fou. Un bon mouvement, vieux !

— Vous êtes familier, dit le nègre. Je n’aime pas ça.

Donkin tressauta et se laissa tomber assis, de surprise, sur un coffre voisin.

— Nous n’avons pas gardé les cochons ensemble, continua James Wait, en modérant son baryton bien timbré. Le voilà, votre tabac.

Puis, après une pause, il demanda :

— Quel navire ?