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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/62

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sais quoi de lugubre et de glacé qui s’exhalait et posait sur tous les visages une sorte de voile de deuil. Le cercle se rompit. Le rire expira sur les lèvres roidies. Il ne resta pas un sourire parmi tout l’équipage du navire. Pas un mot ne fut prononcé. Plusieurs firent demi-tour avec une feinte indifférence ; d’autres, la tête détournée, glissaient malgré eux des regards obliques, plus semblables à des criminels conscients de leur forfait qu’à d’honnêtes gens troublés par un doute. Deux ou trois seulement ne fuirent pas les regards de James Wait qu’ils dévisagèrent stupidement, bouche bée. Tous s’attendaient à ce qu’il parlât et semblaient en même temps savoir d’avance ce qu’il allait dire. Il appuya son dos au montant de la porte et ses yeux lourds appesantirent sur nous un regard enveloppant, dominateur et peiné, comme d’un tyran malade maîtrisant une foule d’esclaves abjects mais peu sûrs.

Personne ne partit. En proie à la fascination de leur crainte, ils attendaient. Ironique, des hoquets hachant ses phrases, il dit :

— Merci… camarades. Vous… êtes gentils… et… tranquilles… pas d’erreur ! À gueuler comme ça… devant… la porte.

Il fit une pause plus longue pendant laquelle, comme dans l’effort exagéré d’un souffle laborieux, ses côtes péniblement pantelèrent. C’était intolérable. Des traînements de pieds volontaires se firent entendre. Belfast laissa échapper un gémissement oppressé ; mais Donkin là-haut cligna ses paupières rouges qu’irritait une cendre invisible et sourit amèrement par-dessus la tête du nègre.

Celui-ci reprit avec une aisance surprenante. Il ne haletait plus et sa voix sonnait, creuse et timbrée, comme s’il eût parlé dans une caverne vide. Il s’irritait, méprisant :