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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/84

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ballonnés dans leurs cirés luisants, pareils à des aventuriers bizarrement accoutrés pour quelque fabuleuse équipée. Chaque fois que le Narcisse s’élevait sans effort à quelque cime vertigineuse et glauque, des coudes labouraient des côtes, des figures s’illuminaient, des lèvres murmuraient : « Bien fait ça, pas vrai ? » tandis que toutes les têtes, tournées comme une seule, suivaient de sourires sardoniques la vague déjouée fuyant sous le vent, toute blanche de l’écume d’une monstrueuse fureur. Mais quand par manque de promptitude il se laissait surprendre et sous le choc brutal se couchait frémissant, nous empoignions des cordes et les yeux levés vers les étroites bandes de toile distendue et trempée qui claquaient désespérément au-dessus de nous, nous songions en nos cœurs : « Pas étonnant. Le pauvre !… »

Le trente-deuxième jour après la sortie de Bombay débuta sous de fâcheux auspices. Le matin, une lame fracassa une des portes de la cuisine. Nous nous précipitâmes, à travers force vapeur et trouvâmes le coq très mouillé et fort indigné contre le bateau. « Il empire tous les jours. Le voilà qui veut me noyer à la porte de mes fourneaux ! » Il était furieux. Nous le pacifiâmes tandis que le charpentier, quoique balayé à deux reprises par les vagues, réussissait à réparer la porte. Par suite de l’accident notre dîner ne fut prêt que très tard, mais peu importa en fin de compte, car Knowles, ce jour-là de corvée, ayant été culbuté par une lame, le dîner s’en alla par-dessus bord. Le capitaine Allistoun, l’air plus sévère et la lèvre plus mince que jamais, s’obstinait à voguer sous pleins huniers et misaine, se refusant à voir que le navire à force d’en trop exiger semblait perdre courage pour la première fois depuis que nous le connaissions. Il renâclait à s’enlever et se creusait maussadement sa route