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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/89

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L’autre quart plongea vers le pont pour carguer la voile. Des têtes humaines émergeaient au gré de l’eau irrésistible qui les jetait çà et là. M. Baker, au milieu de nous, distribuait des grognements encourageants, crachotant et soufflant parmi le filin emmêlé, comme un marsouin énergique. À la faveur d’une embellie fatidique et suspecte, la besogne s’acheva sans perdre personne ni de la vergue, ni du pont. Un moment la tempête sembla faiblir et le navire comme reconnaissant de notre effort reprit du cœur et fit meilleure mine à l’orage.

À huit heures les hommes relevés, guettant le moment propice, se lancèrent en courant à travers le pont inondé dans la direction du gaillard d’avant, pour prendre quelque repos. L’autre moitié de l’équipage resta à l’arrière : histoire à leur tour de « tenir compagnie au rafiot dans la peine », comme ils disaient. Les deux officiers pressèrent le capitaine de quitter la dunette pour prendre quelque repos. M. Baker lui grognait à l’oreille :

— Hou ! maintenant pour sûr… Hou !… confiance en nous…, rien autre à faire…, il faut qu’il tienne ou qu’il y passe. Hou ! Hou !

Du haut de ses six pieds, le jeune Creighton lui souriait avec belle humeur :

— Le bateau est solide. Allez faire une heure, sir.

Le regard de pierre de deux yeux rougis d’insomnie le fixait. Les rebords des paupières du capitaine étaient écarlates et il bougeait sa mâchoire sans cesse d’un effort lent, comme s’il eût mastiqué de la gomme. Il secoua la tête. Il répéta :

— Ne vous occupez pas de moi. Il faut que j’en voie la fin. Il faut que j’en voie la fin.

Il consentit pourtant à s’asseoir un moment, sa face dure inflexiblement tournée du côté du vent. La mer la