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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/96

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D’autres, incapables de discerner d’aussi fines nuances, respectaient sa correction d’allure et sa tenue. Pour la première fois depuis que le navire eût engagé, le capitaine Allistoun jeta un bref coup d’œil sur ses hommes. Il se tenait presque debout, un pied contre la claire-voie, un genou sur le pont, et, le bout du palan de garde autour de la taille, il oscillait d’arrière en avant, le regard tendu, comme une vigie en quête d’un signal. Devant ses yeux, le navire, la moitié du pont sous l’eau, montait et retombait, soulevé par les grosses lames qui jaillissaient de dessous sa masse, pour fuir éclatantes dans le froid soleil. Nous commencions à trouver qu’il naviguait encore à merveille, après tout. Des voix hélèrent : « Il fera l’affaire, les gars ! » Belfast s’écria avec ferveur :

— Je donnerais un mois de paye pour une bouffée de pipe !

Un ou deux d’entre nous qui passaient des langues rêches sur leurs lèvres salées, mâchonnèrent quelque chose qui ressemblait à : « De l’eau ! » Le coq, comme inspiré, se hissa la poitrine contre le baril de poupe et regarda dedans. Il y avait un peu de liquide au fond. Il cria en agitant les bras et deux hommes se mirent à ramper d’avant et d’arrière, en passant le pot à lait. Chacun en prit une bonne gorgée. Quand vint le tour de Charley, un de ses voisins cria : « Le sacré gosse dort. » Il dormait comme si on l’eût drogué de narcotiques. On le laissa. Singleton garda une main sur la barre, tandis qu’il buvait, courbé pour abriter ses lèvres du vent. Il fallut cogner et tarabuster Wamibo avant qu’il vît le pot tenu devant ses yeux ; Knowles observa avec sagacité : « C’est meilleur qu’un boujaron. » M. Baker grogna : « Merci. » M. Creighton but et fit un petit signe de tête. Donkin lampa gloutonnement, en roulant des yeux mauvais par-dessus le bord