Page:Le Parnasse contemporain, III.djvu/356

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Sinistre, et s’engraissant de nos morts bien-aimés !
— « Sous le mystère noir des grands bois diffamés
Où pleure, à la vesprée, au son navrant des cloches,
La clameur des troupeaux de Damnés, qui sont proches,
Va, rougi de ce sang qui t’habille de feu !
— Sans repos, la colère éternelle de Dieu
Chasse Cain ployé, terrible et solitaire !
Le doux pasteur Abel est couché sur la terre,
Et la terre a crié sous son corps étendu.
Le sang fumant n’est pas un vil encens perdu,
Mais, dans le chaud soleil, monte en rouge buée
Au Dieu farouche, assis là-haut dans la nuée :
Et l’Œil du cher martyr, grand ouvert sous le ciel,
Fixe éternellement le Regard Éternel !…

« Imbécile assassin ! Tu te dis, à cette heure,
Que ta besogne faite aurait été meilleure
Si ta main, — trop pressée à craindre les témoins, —
Eût retourné ce corps sur la face, ou, du moins,
Entassé pesamment le secret de la terre
Sur ce sang qui s’élève et ne veut pas se taire,
Et cet œil grand ouvert ardant vers Dieu toujours ! »
Tu te dis : — « Les échos de la Terre sont sourds :
Elle n’a pas d’oreille et n’a pas de prunelle :
Donc, elle n’entend pas le sang qui pleure en elle,
Et ne voit pas non plus les blessures des corps ;
Mais la Terre répond : « J’entends et vois les Morts,
Et je sens vivre en moi leurs amours et leurs haines,
Comme j’ouïs germer les semences prochaines ;