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Page:Le poisson d'or.djvu/11

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LE POISSON D’OR

le département d’Ille-et-Vilaine et qui étonna Rome par l’organe de Scipion Nasica. Le mot distinction, dont on fait un abus si cruel dans les salons situés derrière les boutiques, ne pouvait point lui être appliqué. Vous l’eussiez pris pour un riverain des Danubes de Normandie, ou pour un procureur angevin osant son premier voyage de Paris.

Dans sa personne, dans son costume, dans ses manières surtout, il y avait un sans façon qui n’était pas tout à fait de l’aisance. La bonhomie du conquérant est facile à reconnaître. Cependant, le mot cynisme serait infiniment trop gros pour caractériser les nuances de ce rôle du parvenu sachant vivre, qui ne pèche pas du tout par ignorance et calcule avec sang-froid la limite précise qui doit borner l’essor de ses audaces.

Un héritage se garde tout seul, souvenons-nous de cela, mais il faut défendre le bien venu par la victoire.

Une fois, en travaillant avec Louis XVIII, notre homme s’était oublié jusqu’à déposer sur la table royale son mouchoir et sa tabatière.

– Mettez-vous à votre aise, avait dit le père de la Charte en riant, c’est cela videz vos poches, monsieur le comte !

La réponse de notre homme est célèbre et il la laissa tomber sans s’émouvoir le moins du monde.

— Sire, dit-il, poches qui se vident valent mieux que poches qui se gonflent.

J’ai connu des ministres qui n’avaient pas cette manière de voir.

On citait de lui beaucoup de ces mots gaulois et honnêtes. Il avait quelques douzaines d’amis plus ou moins dévoués et des millions d’ennemis : c’est le succès en France. Pour comble, Barthélémy et Méry avaient pris