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Page:Le poisson d'or.djvu/17

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LE POISSON D’OR

– Y-a-t-il longtemps que vous êtes à Rennes, monsieur ? demandai-je.

– Trois jours, me fut-il répondu.

— Avez-vous déjà consulté quelque avocat ?

— Cinq avocats.

Ma physionomie dut parler, car il baissa les yeux et reprit d’une voix où je sentais les larmes :

— J’aurais bien renoncé, mais j’ai ma petite-fille…

Je ne sais pas dire l’effet que produit sur moi une violente émotion modérément exprimée. J’étais déjà l’avocat de M. Keroulaz. J’aime mieux ce mot que celui d’ami, mesdames. Il y a des choses si grandes que la raillerie du vulgaire, cette dent de serpent patiente et envenimée, s’use à les vouloir mordre. Les gens les plus raillés parmi nous sont les prêtres, les avocats et les médecins. Cherchez bien vous trouverez sous chaque épigramme au moins une ingratitude.

Sur mon invitation, M. Keroulaz me fit l’exposé de son procès. C’était une de ces affaires très simples au point de départ, mais qui, par la mauvaise foi d’un côté, par l’imprudence de l’autre, deviennent à la longue inextricables. Il ne s’agissait que d’une presse à sardines. M. de Keroulaz (il avait supprimé le de), homme de qualité, réduit au besoin par suite des événements, s’était mis dans le commerce. À partir de l’embouchure de la Vilaine jusqu’à Brest, la principale industrie de nos côtes est la pêche et la manipulation de la sardine ; M. Keroulaz, habitué depuis son enfance à vivre parmi les pêcheurs, avait embrassé avec résignation son nouvel et modeste état. La presse, située sur la plage de Gavre, derrière Port-Louis, lui avait été cédée par le citoyen Bruant, arabe de première force, que les sardiniers appelaient le Judas,