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Page:Le poisson d'or.djvu/18

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LE POISSON D’OR

moyennant une somme de douze mille francs, dont M. Keroulaz avait, à son dire, effectué le payement intégral. Aucune quittance, néanmoins, n’existait entre ses mains, et ceci vous sera expliqué plus tard. Des années avaient passé, sans qu’il y eût eu réclamation, lorsque tout à coup le citoyen Bruant intenta une action en revendication de l’objet vendu, affirmant qu’il n’avait jamais reçu un centime.

Il faudrait beaucoup de paroles, mesdames, pour vous faire comprendre comment un homme de loi, en l’absence de toutes preuves, en l’absence même de ce que la jurisprudence nomme présomptions, peut se faire, du premier coup, sur le plus ténébreux conflit, une conviction lucide et inébranlable. Après avoir entendu M. Keroulaz, je demeurai persuadé de son bon droit et j’en fus presque fâché, tant je voyais peu de jour à le tirer de peine. Aussi, lorsqu’il me dit, complétant loyalement ses explications, que son adversaire n’était pas éloigné de transiger, m’écriai-je :

— C’est un coup du ciel ! Transigez, à tout prix, transigez !

– Cela ne se peut pas, monsieur, répliqua froidement le vieillard. Il demande trop.

— Pourquoi ? Que demande-t-il ?

– La main de ma petite-fille.

Ici, M. de Corbière fut interrompu par un mouvement qui se fit dans le salon. Chez la marquise, il y avait défense d’annoncer, fût-ce le roi, quand une histoire était entamée, et la personne qui venait d’entrer faisait de son mieux pour passer inaperçue, mais son nom courut de bouche en bouche. Le récit du ministre n’était pas de ceux qui saisissent brusquement la curiosité, l’intérêt y grandissait peu à peu l’aide de

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