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Page:Le poisson d'or.djvu/22

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LE POISSON D’OR

à tout bout de champ. Il ne se plaignait jamais. Au milieu de l’absolu dénûment où je le trouvais, son air restait libre et digne ; je n’aperçus réellement aucun changement dans la douce noblesse de ses manières. Je ne veux pas employer de grands mots et pourtant je voudrais rendre la grande émotion que j’éprouvai près de lui. Ces choses sont difficiles à dire. Tout est difficile, maintenant, dans cette histoire.

Au moment où je prenais congé, il appela Jeanne… Je ne cache pas que j’avais préparé un portrait charmant ; je comptais beaucoup là-dessus c’était un vrai médaillon, mais comment voulez-vous que je vous fasse le portrait de Jeanne, puisque Mme de Chédéglise a jugé à propos de venir ?…

Ce fut la comtesse elle-même qui répondit à cette question.

— Bon ami, dit-elle en souriant, je vous permets de faire le portrait de Jeanne, qui avait alors seize ans, et que personne ne reconnaîtra aujourd’hui. Vous avez carte blanche.

– C’est égal ! c’est égal ! murmura le ministre ; vous me gâtez tous mes effets !

Puis, d’une voix légèrement attendrie et avec une grâce que sa tournure ne promettait point, il reprit :

— Jeanne était Mlle de Keroulaz. On ne fait pas le portrait des anges. Tant pis pour vous, madame et bonne amie, je dirai tout uniment ce que je ressentis : il me sembla qu’un rayon de soleil éclairait l’austère nudité de cette cellule. J’eus un sentiment de respect pieux, et ma paupière se mouilla quand le vieillard me dit du haut de son orgueil paternel :

– Monsieur Corbière, vous voyez bien que je ne suis pas si pauvre !