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Page:Le poisson d'or.djvu/21

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LE POISSON D’OR

la famine. Toute l’année, Lorient danse, court le spectacle, se promène à la mer, étale les pique-nique sur l’herbe et bâille à tire-larigot.

Mais sa rade est un miracle, il n’y a pas au monde un plus riant point de vue. La première fois que je vis le soleil se lever derrière les grands pins de Cauden éclairant Penmané, le roc couronné de ruines, le vieux couvent de Sainte-Catherine, l’île Saint-Michel, Port-Louis, qui ressemble à une ville des Antilles, Kernevel, pareil à une bourgade de l’Hindoustan, Keroman, l’antique manoir perdu dans ses futaies, et ce joyeux château du Ter, au sommet d’un amphithéâtre de forêts, je restai en extase. La rade étincelait au milieu de tout cela, baignant les quais, balançant par-dessus les maisons les mâts des navires de guerre ; d’un côté, pénétrant profondément la côte par le canal du Scorff et la verte tranchée du Blavet, de l’autre, par l’étroite passe qui est entre la citadelle et Larmor, s’élançant vers l’immensité. Je me sentis marin des pieds à la tête, et j’affrontai sans trembler ces ondes plus unies qu’une glace, pour aller à Port-Louis rendre visite à M. Keroulaz.

La traversée, mesdames, ne fut signalée par aucun événement dramatique. J’arrivai sain et sauf chez M. Keroulaz, qui me fit remise d’un volumineux dossier. Il habitait le plus haut étage d’une grande maison grise, dont les croisées regardaient le sud. Par-dessus les ormes des terre-pleins, inclinés sous le vent, il voyait l’île de Groix, coupant la ligne bleue du large. Dans sa chambre, il n’y avait qu’un lit, une table, une chaise, et un grand écusson à vingt-quatre cantons qui parlait du passé mélancoliquement. M. Keroulaz n’était pas de ces hommes qui expliquent leur affaire