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LE POISSON D’OR

sillons, comme on appelle vulgairement ses habitants, n’ont pas une renommée de probité à toute épreuve.

— Ces descriptions, dit cependant la marquise, prenant d’un grand regard l’opinion de son cercle, sont intéressantes au dernier point ; mais l’histoire, monseigneur, l’histoire !

L’excellente et fanatique marquise !

– Nous y voici, répartit Son Excellence docile à la critique. Avec la meilleure volonté du monde, je ne pourrais d’ailleurs achever cette description qui vous ennuie, mais à laquelle les événements qui suivirent donnent pour moi une importance presque solennelle. Sans le savoir, et peu à peu, j’avais continué de marcher, longeant toujours la grève, afin de me rapprocher d’autant du point où se faisait la cérémonie. J’avais dépassé le village, la chapelle antique qui sert de marque aux gens de mer, et même la presse du citoyen Bruant, objet du procès. J’arrivais aux roches qui ferrent l’extrême pointe de Gavre, et j’allais encore entouré déjà par le ressac dont la blanche écume se jouait en festons de toutes parts. Je n’étais pas l’homme du grand air ; mes jours et mes nuits, acharnés au travail du cabinet, ne m’avaient pas aguerri contre ces impressions extérieures que supporte si aisément la jeunesse. Je me souviens qu’à un certain instant j’eus vaguement frayeur, parce qu’un éblouissement teignit en rouge les goëmons qui m’environnaient ; la frange d’écume elle-même prit une nuance de sang. Cela dura le quart d’une minute à peine, puis j’eus une fugitive sensation de langueur, après quoi j’éprouvai un grand mouvement de force et de gaieté. L’idée me vint que j’étais capable de rejoindre à la nage toutes ces barques groupées au milieu des cou-