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Page:Le poisson d'or.djvu/33

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LE POISSON D’OR

ranger, comme me le déclara Monette, sa servante, demoiselle d’une cinquantaine d’années, qui fumait dans un coin une petite pipe noire dont les vapeurs me tordaient la gorge. Les cabarets de la côte ne font, en effet, que prêter la marmite aux équipages pour la cotriade, et les équipages les payent en consommant abondamment le cidre. Monette était un peu plus noire que le fourneau de sa pipe, et son parler ressemblait au bruit d’une poignée de cailloux qu’on remuerait dans un sac. Bonne fille, du reste, et qui buvait ses trois chopines d’eau-de-vie quand les messieurs de Lorient voulaient s’amuser à voir cela.

— Et ne pourriez-vous, demandai-je, m’aller chercher un morceau de viande froide quelque part ?

— De la viande froide répéta-t-elle.

Elle ôta sa pipe pour rire à son aise, et dit en breton, pour ne point m’humilier :

— Sont-ils bêtes, ces Français ! mon Dieu, sont-ils bêtes ! »

En ce moment, le père Mikelic remonta de la cave, portant un pot de cidre dans chaque main. Il ouvrit une petite porte, située à droite de la cheminée, et au travers de laquelle j’entendais rire et chanter depuis mon arrivée. La porte ouverte donna passage à une bonne odeur de cuisine qui exalta incontinent mon appétit. Je glissai mon regard de ce côté : cinq ou six bons gaillards étaient assis autour d’une table dans un trou. C’est peine si le crépuscule permettait de distinguer leurs visages.

— Amène ! papa Mikelic ! s’écria l’un d’eux d’une voix forte, mais enrouée, et laisse la porte ouverte, rapport à Vincent, qu’à l’estomac délicate comme une demoiselle… On te donne le restant de