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Page:Le poisson d'or.djvu/38

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LE POISSON D’OR

mot s’entend, et qui ne ressemblait en rien aux têtes de butors ou de vautours qui peuplent les brouillards de nos cabarets civilisés.

Malgré la chaleur, Seveno boutonnait un épais norouas ou paletot de futaine anglaise sur sa chemise de toile brune. C’était la marque de sa position élevée. Il avait des boucles d’oreilles en or, une tabatière de corne, une blague en cuir et une boîte de chiqueur en laiton. Rien ne lui manquait.

Les trois autres convives, Jean-Pierre, Marec et Courtecuisse, équipage réglementaire de la Sainte-Anne, ressemblaient à tout le monde et n’étaient par conséquent pas des innocents. La Sainte-Anne avait pour armateur M. Bruant, dit Judas, ma partie adverse et l’un des plus riches négociants du Morbihan.

– Ça y est-il ?

— Dame oui : cric !

— Crac !

— Le feu chez Mikelic !

– La goutte chez la Tabac !… Comme quoi vous allez voir que le Judas pêcha tout de même le poisson d’or ! C’était du temps de la Terreur, comme l’on dit ; mauvaise affaire : notre paroisse de Riantec restait ouverte, mais il n’y avait plus de prêtres, ni à Lorient ni à Port-Louis les nobles s’en allaient de leurs châteaux et le reste. Vous pouvez bien vous souvenir de ça, vous autres, excepté le Vincent, qu’était trop jeune.

Vincent rougit et baissa les yeux.

– Quoique, reprit Seveno dont la voix s’adoucit pendant qu’il le regardait il la dérobée, l’enfant a mangé son pain blanc le premier, et qu’il doit se rappeler qu’il couchait dans de la fine toile, à l’époque, avec quinze