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Page:Le poisson d'or.djvu/37

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LE POISSON D’OR

vêtu de toile à voile comme les autres, sa vareuse avait je ne sais quelle grâce qui ne venait point de l’art du coupeur. Vincent était beau, et me sembla bon. Il occupait l’emploi de mousse à bord de la Saint-Anne, barque sardinière dont Seveno était le patron. Sur le rôle d’équipage, il avait nom Vincent tout court, mais chacun savait bien qu’il était le quatrième fils du comte de Penilis, mort à Quiberon, et que les Français appelaient le colonel de Chédéglise.

Le quatrième et le dernier, il ne restait que lui pour souffrir de la ruine complète de sa famille.

Là-bas, je ne sais pourquoi les décadences sont si rapides et si vites acceptées. Je connais chez nous des centaines de gentilshommes en sabots. Il y a dans le caractère breton une résignation qui rehausse les chutes, mais les fait parfois irréparables au point de vue humain.

Vincent était un mousse, et rien de plus. Il buvait mal, il fumait peu ; on n’avait guère l’espoir de le voir homme un jour venant. Il ne savait ni lire ni écrire pourtant, et c’était la seule chose dont on pût lui tenir compte.

Je mentirais si je vous disais que Vincent attira très fortement mon attention. Seveno était de tout point beaucoup plus remarquable. Seveno avait des épaules d’Atlas, supportant une grosse tête celtique, couleur de bronze rouge. Ses cheveux coupés ras laissaient voir un crâne montueux, où toutes les bosses du docteur Gall mauvaises et bonnes, se développaient outre mesure. Sous deux touffes énormes de sourcils grisonnants, ses yeux rieurs clignotaient et raillaient. Il avait la plus belle figure à pipe qu’il m’ait été donné d admirer ; figure à pipe dans l’honnête acception du