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Page:Le poisson d'or.djvu/43

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LE POISSON D’OR

— Ta voile ne te servira de rien cette nuit ; si tu veux, je te donnerai la main jusqu’à Groix, où je coucherai chez Kergren, au fort de l’Ouest.

– Pas de danger, me répondit-il en riant tout jaune. Ils ont béni les couraux cette après-dînée, et la mer n’est pas assez fond pour me noyer.

J’avais oublié de vous faire mention que c’était le soir de la fête. Malgré le malheur des temps, le curé de Riantec avait monté en barque et fait la cérémonie tout seul, pour obtenir du bon Dieu le pain du pauvre monde.

Ça m’étonna que le Judas ne voulait point de mon aide. Il était poltron comme un lièvre à la mer, quoique nageant mieux qu’un poisson. Mais ça me fit plaisir aussi, car un chrétien n’aime pas à se mêler peu ni beaucoup dans des affaires pareilles, et rien que de tirer sur l’aviron avec lui jusqu’au lieu de sa pêche damnée, ça devait être un péché pas mal lourd.

Va bien. On est curieux, pas vrai ? Je lui demandai s’il avait la boîte qu’il fallait, et il me répondit que le sacristain lui avait vendu pour un écu de six livres… dame ! c’était sous la république, et le monde se moquait pas mal du bon Dieu.

— Vendu quoi ? demanda Vincent ardemment, parce que Seveno s’était arrêté.

Le rude matelot eut une pâleur qui lui passa sur le visage. Il se signa maladroitement et murmura :

— Ça ne se dit pas, l’enfant. Au prochain gros temps on pourrait s’en ressentir. Je vous ai promis de vous conter comment le Judas fit sa fortune, et voilà. Il avait la boîte qu’il fallait, et le sacristain s’était damné sans rémission pour un écu de six livres.

Dès huit heures du soir, le Bruant poussa au large,