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Page:Le poisson d'or.djvu/53

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LE POISSON D’OR

— La seconde est un lambeau de la chair d’un chrétien…

Vincent resta immobile et muet.

— Voulez-vous toujours ? demanda Seveno après un silence.

Vincent ne répondit pas tout suite, et je le vis essuyer la sueur de son front. Mais tout à coup il redressa d’un mouvement plein d’orgueil la richesse déjà virile de sa taille.

— Je suis un Penilis, dit-il, j’ai droit. Minuit sonnant, je serai au Trou-Tonnerre, le poisson damné aura la boite qu’il lui faut, et je jure que je ne commettrai pas un sacrilège !

Il s’éloigna à grands pas.

— Veux-tu de moi pour nager, cette nuit, l’enfant ? lui cria de loin Seveno.

— Mon grand-père n’eut besoin de personne répliqua le mousse, dont la silhouette se perdait dans le noir.

Les nuits de Port-Louis sont désertes de bonne heure. Les gens de Port-Louis qui rendent des visites le soir reviennent avec des falots ou lanternes à main, comme on faisait à Paris sous Louis le Débonnaire. En traversant la ville pour gagner les quais, je passai sous les fenêtres de mon pauvre client, M. Keroulaz, il y avait encore chez lui une croisée qui brillait. De l’autre côté de la rue, dans l’embrasure d’une porte, une ombre immobile se dressait. J’allais passer, sans remarquer autrement cette ombre, lorsqu’une lanterne, précédant pompeusement deux vieilles joueuses de boston ou de reversi, éclaira l’enfoncement de la porte.

Je reconnus le beau visage de Vincent, qui avait les yeux pleins de larmes.

Si peu que ce soit, chacun a en soi son petit grain de