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LE POISSON D’OR

J’en étais à délibérer avec moi-même sur la question de savoir si je devais retourner l’envoi de Judas sans réponse ou si mieux ne valait pas entrer en négociations avec lui, dans l’intérêt de Kéroulaz. Il y avait du pour et du contre. Sa démarche me le livrait un peu, mais pas assez, et peut-être la prudence diplomatique conseillait-elle d’irriter son caprice par un refus. La seule chose qui combattait cet ordre d’idées en moi, c’était le désir très vif que j’avais de voir enfin cet homme et d’entamer avec lui une bataille réglée. Je ne peux pas prétendre que j’eusse des opinions arrêtées bien solidement sur le double assassinat, que les apparences mettaient à sa charge ; j’étais déjà trop imbu des prudences du Palais pour me laisser entraîner au vertige des présomptions, mais un problème était posé, je voulais passionnément le résoudre.

À quelque degré que cet homme fût coupable, indépendamment même de la querelle sacrée que j’avais à défendre, je voulais me servir de lui comme l’apprenti médecin se sert du sujet étendu sur la table de dissection. Je l’avais voué a mes études, il me le fallait.

Tout en réfléchissant, j’ouvris machinalement ma seconde lettre de Port-Louis. Elle était d’une écriture large et lourde comme celle des enfants. Elle disait :


« Monsieur l’avocat,

« Je vous apporte encore deux homards avec moi et je vous prie de dire à vos valets de me recevoir, car j’ai vous consulter pour affaire de vie et de mort.

« Signé : Chédéglise (Vincent). »