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Page:Le poisson d'or.djvu/84

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LE POISSON D’OR

— Vous êtes bien vieux, mon cousin Keroulaz.

Il leva sur moi ses yeux, où le sourire allait naître, et murmura :

– Cela est vrai.

– Si Dieu vous appelait à lui par malheur, poursuivis-je, Mlle Jeanne n’aurait plus personne.

Je vis bien qu’il avait envie de me tendre la main, mais une idée lui passa, et son front se rembrunit pendant qu’il disait tout bas :

— Il n’y avait point de sentier du château de Keroulaz au château de Penilis.

Il n’y a plus ni château de Penilis ni château de Keroulaz, répartis-je. Que la paix soit entre les morts !

– Tu parles comme un homme pensa-t-il tout haut.

Il appela Jeanne, qui vint souriante et blanche, comme une promesse de bonheur. Ils causèrent ensemble si bas, que je ne les entendais pas, mais je voyais le rose monter aux joues de Jeanne, et j’invoquais, avec Jésus et Marie, tous les saints du paradis. Après une minute qui me sembla longue comme un jour, M. Keroulaz renvoya sa petite-fille d’un geste, et je restai de nouveau seul avec lui.

On venait de me juger ; il allait prononcer l’arrêt.

— Vincent, me dit-il, je n’ai jamais eu de haine contre les tiens ; si j’avais eu de la haine, ton père, le colonel, aurait forcé mon pardon en mourant pour Dieu et le roi comme un martyr. Je te prends pour mon fils, mais il faut gagner Jeanne. Tu l’as dit je suis vieux : après moi, elle n’aura personne. Tu n’es rien, sois quelque chose. Un simple matelot…

– Je ne suis que mousse, interrompis-je ; mais je vous comprends, et j’ai du cœur.